0 - 1 Préambule - Le rattachement de la Bretagne à la France vu par les historiens -

27/09/2019 12:36

CHAPITRE INTRODUCTIF

 

 

LA NAISSANCE DE LA PRINCIPAUTE BRETONNE.


Les relations britto-franques vues à travers les conflits militaires et les guerres (5ème – 9ème siècle).

 

I /  VIème siècle. Les Bretons, les fils et les petits-fils de Clovis.

 

On est assez bien informé du territoire occupé par les Bretons dans la péninsule armoricaine du sixième siècle i.  Arrivés par voie maritime, et ayant abordé les côtes qui leur étaient les plus accessibles – le nord et l'est – ils se répandirent d'abord sur le littoral, puis progressèrent dans l'intérieur, selon les axes de pénétration naturels : les fleuves, les cours d'eau , les plaines ii.

 

Pendant plus de deux siècles, ils restèrent principalement localisés dans le nord et dans l'ouest de la péninsule, dans les territoires qui répondent, approximativement, aux départements actuels des Côtes d'Armor et du Finistère, ainsi qu'à la partie nord du Morbihan. Une surface approximative de 15 000 à 20 000 kilomètres carrés, soit un pays deux fois plus petit que la Belgique, la Suisse, les Pays Bas.

La ligne de "démarcation"  fait l'objet de controverses iii. La rivière Vilaine a certainement joué le rôle d'une frontière naturelle pendant longtemps, notamment dans sa partie basse, avec ses nombreux marais et zones humides. La cité de Vannes, comme nous allons le voir, fut âprement discutée dès le sixième siècle et se trouva tantôt sous domination franque, tantôt sous domination bretonne.

On s'accorde à penser que Clovis, arrivé aux confins de la péninsule armoricaine aux alentours de l'an 500, n'a exercé aucune domination sur celle-ci, en raison des entreprises multiples qui l'accaparaient de toutes parts, de l'absence d'intérêt à s'emparer de ce pays situé au bout de la terre, peu peuplé, économiquement sous-développé, de surcroît difficilement accessible autrement que par voie maritime ou fluviale.

Clovis, mort en 511, eut quatre fils : Thierry, Clodomir, Childebert, Clotaire. Des indices concordants donnent à penser que les relations entre Childebert, deuxième fils de Clovis, et les Bretons furent pacifiques, en tout cas peu conflictuelles iv. A partir du milieu du sixième siècle, les choses changèrent. Il y a apparence que les problèmes survinrent dès que les bretons furent assez nombreux pour affronter militairement les Francs v.

Les sources, pour cette époque, manquent cruellement. Le seul témoignage est celui de Grégoire de Tours. Celui-ci, évêque et chef de sa province ecclésiastique, passe pour avoir été assez bien informé, à raison de ses fonctions, qui lui donnaient autorité théorique sur toute l'Armorique. Aussi les passages de son "Histoire des Francs" se rapportant aux Bretons doivent-ils être cités in-extenso, afin de ne pas en altérer la substance.

Si l'on en croit Grégoire de Tours, les Bretons furent dominés par les Francs dès la mort de Clovis : " Depuis la mort du Roi Clovis, les [princes] Bretons sont toujours sous la domination des Francs, et ils sont appelés Comtes et non rois".

Cette affirmation, en raison de son caractère générique, apparaît contestable à la plupart des auteurs. Il est plus vraisemblable que certaines tribus bretonnes, situées aux confins  des territoires francs durent reconnaître l'autorité de leurs voisins, plus nombreux et plus forts. Il n'y a aucun indice pour penser que les Francs aient exercé une quelconque autorité à l'intérieur des zones occupées par les Bretons vi.

D'après les contemporains, les mœurs des Bretons sont rudes, au moins autant que celles des Francs, ce qui n'est pas peu dire. La transmission des patrimoines (comme on dit aujourd'hui) ne va pas sans incidents de parcours, parfois violents : " Chanao, comte des Bretons vii tua trois de ses frères. Voulant encore tuer Maclou (le quatrième), il le fit arrêter et le retint en prison chargé de chaînes. C'est grâce à Félix, Evêque de Nantes, qu'il échappa à la mort … voyant qu'il ne pouvait s'évader, il s'enfuit chez un autre comte … Il le cacha sous terre dans un caveau, en disposant au-dessus, suivant la coutume, un tombeau et en lui ménageant un petit soupirail pour qu'il pût respirer…Chanao pris tout le royaume de (Maclou). Sortant alors de terre, Maclou gagna la ville de Vannes où il fut tonsuré et ordonné Evêque…". (Histoire des Francs, livre IV, n°4).

Le premier conflit violent entre les Bretons et les Francs, dont nous ayons gardé trace, se situe en 558. Chramne, fils du Roi Clotaire – lui-même fils de Clovis – révolté contre son père et allié avec son oncle Childebert, se réfugia en Bretagne, auprès du comte Chanao : " … Comme Chramne voyait qu'il ne pouvait s'évader autrement, il gagna la Bretagne, lui-même sa femme et ses filles s'y cachèrent chez Colomer, comte des Bretons viii… Le Roi Clotaire, furieux contre Chramne, se porta avec une armée contre lui en Bretagne ; mais lui ne craignit pas de marcher contre son père. Tandis que les deux armées se trouvaient massées dans une même plaine, et que Chramne avec les Bretons avait rangé ses troupes contre son père, la nuit tombant, les hostilités cessèrent … Le Roi Clotaire s'avançait tel un nouveau David près à se battre contre Absalon, son fils… Pendant qu'ils se battaient ensemble, le comte des Bretons tourna les talons et tomba sur place. Chramne pris la fuite ; il avait des navires prêts à prendre la mer".

(Histoire des Francs, livre IV, n°20).

L'affaire se termina mal. Chramne fut fait prisonnier : " … Pendant qu'il cherchait à délivrer sa femme et ses filles, il fut surpris par l'armée de son père, fait prisonnier et ligoté. Quand la nouvelle en parvint au Roi Clotaire, il ordonna de le brûler avec sa femme et ses filles. On les enferma dans la chaumière d'un pauvre homme, Chramne fut étendu sur un banc et étranglé avec un mouchoir ; et ainsi, la maisonnette ayant ensuite été incendiée sur eux, il périt avec sa femme et ses filles". (Histoire des Francs, livre IV, n°20).

A Chanao, succéda son neveu Waroc (ou Waroch, ou Wéroc) ix. Il semble avoir été un guerrier redoutable ; il a laissé son nom au Vannetais (Bro-Waroc ou pays de Waroc, devenu Broërec) :

" … Sur l'ordre du Roi Chilpéric, les Tourangeois, les Poitevins, les Baïocasses, les Manceaux et les Angevins partirent pour la Bretagne. Ils campèrent le long du fleuve de la Vilaine pour combattre contre Wéroc … Ce dernier, se jetant traîtreusement pendant une nuit sur les Saxons Baïocasses, en tua la plus grande partie".

On parvient à un accord : " Trois jours après, il fit la paix avec les ducs du Roi Chilpéric et, donnant son fils en otage, il s'engagea par serment à être fidèle au Roi Chilpéric. Il restitua aussi la cité de Vannes, sous cette condition que s'il obtenait de la gouverner par ordre du Roi, il paierait les tributs et tout ce qui était dû chaque année, sans qu'on l'en somme. Ceci fait, l'armée quitta ces lieux". (Livre V, n°26).

Mais les bretons reviennent sur les accords conclus : "Wéroc, oubliant sa promesse et voulant rompre le traité qu'il avait conclu, envoie Eunius, évêque de la ville de Vannes, au Roi Chilpéric ; mais celui- ci, pris de colère, le fait condamner à l'exil après l'avoir gourmandé".

(Livre V, n°26).

Nouvelles agressions dès l'année suivante (579) en direction de Rennes et de Nantes :

" Les Bretons dévastèrent aussi la région de Rennes en l'incendiant, la pillant et faisant des prisonniers. Ils progressèrent en bataillant jusqu'au village de Corps-Nuds … Le Duc Beppolène, envoyé contre les Bretons, dévaste par le fer et par le feu quelques localités de la Bretagne, ce qui provoque une fureur encore plus grande".

" Pendant cette année, les Bretons firent d'importants ravages aux alentours de la ville de Nantes et de celle de Rennes. Ils emportent un immense butin, dévastent les champs, dépouillent les vignes de leurs fruits et emmènent des prisonniers. L'évêque Félix leur ayant envoyé une députation, ils promirent de réparer les dommages, mais ne voulurent remplir aucune de leurs promesses". (Livre V, n°s 29 et 31).

Le Roi Gontran (deuxième fils de Clotaire Ier), s'étant emparé de l'administration des pays francs occidentaux à l'occasion de la minorité de Clotaire II (fils de Clotaire Ier et de Frédégonde), envoie aux Bretons une ambassade importante à l'occasion de nouveaux conflits :

" les Bretons ayant alors envahi le territoire nantais, y firent des ravages ; ils pillèrent des domaines et emmenèrent des gens en captivité. Quand la chose eut été rapportée au Roi Gontran, il fit mobiliser une armée et envoya sur les lieux un courrier pour leur notifier qu'ils aient à réparer tous les dommages qu'ils avaient faits ; faute de quoi, qu'ils sachent qu'ils seront égorgés par son armée. Or, eux pris de crainte, promettent de réparer tout le mal qu'ils avaient fait x : …" nous savons, dirent-il, que ces cités reviennent au fils du Roi Clotaire et que nous devons leur être soumis, mais nous n'hésitons pas à payer une composition pour tous les délits que nous avons commis". (Livre IX, n°17).

" Ils promirent en donnant des fidéijusseurs et en souscrivant des cautionnements de donner à Gontran et à Clotaire 1 000 sous à titre de composition ; ils promirent aussi de ne plus jamais envahir le territoire de ces cités" . (Livre IX, N°17).

Une fois de plus, les Bretons usent de duplicité : " Après que les choses eussent été ainsi réglées, les autres repartirent et annoncèrent au Roi ce qu'ils avaient fait … Quant à Wéroc, oublieux de son serment et de son engagement, il négligea tout ce qu'il avait promis, dévasta les vignes des Nantais, et cueillant la vendange, transporta le vin dans le pays vannetais. Ceci rendit de nouveau le Roi Gontran très furieux ; il fit mobiliser une armée, mais s'apaisa ensuite". (Livre IX, N°17).

Les Bretons ayant continué leurs exactions contre les Francs, Gontran organise une importante expédition contre eux, en 590 : " … comme les Bretons se livraient à toutes sortes de violences aux alentours des villes de Nantes et de Rennes, le Roi Gontran fit mobiliser une armée contre eux ; à sa tête, il désigna les Ducs Beppolène et Ebrachaire … Partout où ils passèrent, ils commirent des incendies, des meurtres, des brigandages et toutes sortes de crimes … ils arrivèrent aux bords de la rivière de la Vilaine, qu'ils traversèrent, et parvinrent jusqu'au fleuve de l'Oust… Beppolène engagea la lutte et tua pendant deux journées beaucoup de Bretons et de Saxons … C'est le troisième jour, tandis que ceux qui étaient avec lui étaient tués et que lui-même, quoique blessé, résistait avec sa lance, que Wéroc se jeta sur lui avec ses gens et qu'on le tua, car Wéroc les avait enfermés au milieu de défilés et de marais où ils se noyèrent dans le bourbier plus qu'ils ne furent massacrés par l'épée…".

" … Ebrachaire s'avança jusqu'à la ville Vannes … Certains prétendaient que Wéroc désirait fuir dans les îles avec ses navires chargés d'or et d'argent, ainsi que du reste de ses biens …Il vint trouver Ebrachaire, il implora la paix, livra des otages ainsi que de nombreux présents, en promettant de ne jamais venir en travers des intérêts du Roi Gontran… Après la conclusion de la paix entre Wéroc et Ebrachaire, Wéroc déclara : " Allez-vous en maintenant et proclamez que tout ce que le roi commandera, je prendrai soin de l'exécuter spontanément ; pour que vous me fassiez une plus entière confiance, je vous remettrai mon neveu comme otage". C'est ce qu'il fit, et la guerre cessa". (Livre IX, n°9).

Wéroc, en réalité, se livre à une nouvelle ruse : " Lorsque l'armée quitta la Bretagne, les plus robustes traversèrent le fleuve ; mais les plus faibles et les pauvres qui étaient avec eux ne purent le traverser en même temps ; et comme ils étaient restés sur la rive du fleuve de la Vilaine, Wéroc, oublieux de son serment et des otages qu'il avait donnés, envoya Canao, son fils, avec une armée qui, ayant appréhendé les hommes qu'elle avait trouvés sur cette rive, les enchaîna avec des liens, tua les résistants, tandis que quelques-uns qui voulaient franchir le fleuve étaient rejetés à la mer dans le flot impétueux du torrent. Dans la suite, beaucoup furent libérés en signe d'affranchissement et rentrèrent chez eux.

L'armée dudit Ebrachaire, qui avait traversé auparavant le fleuve, craignit de revenir par la route par laquelle elle était venue dans la crainte de subir à son tour les mauvais traitements qu'elle avait infligés et se dirigea vers la ville d'Angers pour trouver un pont sur le fleuve de la Maine. Mais la petite poignée d'hommes qui la première traversa le pont auquel nous venons de faire allusion fut dépouillée, maltraitée, et soumise à toutes sortes de traitements ignominieux."

(Livre X, n°9).

Les évènements ci-dessus préfigurent ce que vont être les relations entre les Bretons et les Francs jusqu'à la fin de l'indépendance bretonne : une série d'affrontements, tantôt à l'initiative des Bretons, tantôt à l'initiative des Francs, aucune des parties ne parvenant à remporter d'avantage décisif sur

l'autre xi .

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