Anne de Bretagne

08/08/2017 22:57

ANNE DE BRETAGNE

 

 

 

LA GRAVITE DES VOMISSURES DEVERSEES SUR LA DUCHESSE ANNE

 

Louis MELENNEC, docteur en droit, DEA d'histoire.

 

 

 

 

 

 

 

Les Nations se constituent au fil des siècles. A force d'avoir vécu ensemble, partagé les mêmes mythes, les mêmes valeurs, les mêmes croyances, d'avoir défendu leur pays contre les incursions étrangères, d'avoir partagé les mêmes peines, les mêmes chagrins, les mêmes épreuves, les personnes qui vivent sur le même territoire développent un sentiment d'avoir de nombreuses choses en commun, d'appartenir à une même famille. C'est cela la Nation.

 

Les personnages "historiques" ne sont pas, à proprement parler, un "critère" de la Nation. Leur rôle n'en est pas moins très important, car ils contribuent à l'histoire, ils la font souvent, et, pour les plus remarquables, servent aux peuples de modèles d'identification.

 

Ce qui s'est passé à Nantes, en 2007, au château des Ducs de Bretagne, ou Anne de Bretagne à été traînée dans la boue - sous la responsabilité de la municipalité de surcroît - me semble infâme. Je ne suis pas prêt d'oublier celà, et on me verra y revenir encore.

Quelques « hystoryens », ont cru se rendre intéressants, en dénigrant à la fois Anne de Bretagne et son œuvre. Les faits sont têtus. La Duchesse a eu une pensée politique ferme, arrêtée, obstinée. En 17 ans de règne, elle accomplit un travail CONSIDERABLE.

 

 

 

 

I - LA RECONQUETE DE L’INDEPENDANCE DU DUCHE.

 

La Bretagne, néantisée et annexée par Charles VIII, impose un nouveau statut, par un traité négocié pied à pied entre Anne et Louis XII, signé à Nantes le 7 janvier 1499. Pour résumer ce contrat complexe (Morice, Preuves III, 813).

 

- La Bretagne et la France resteront à jamais des pays distincts et séparés.

- La Bretagne sera gouvernée par son Duc, et aura, à jamais, ses institutions propres.

- Le trône de Bretagne échoira au deuxième enfant du couple royal - fille ou garçon -, après la mort d’Anne et de Louis. S’il n’y a qu’un enfant, la clause reste valable pour les générations suivantes. En toute hypothèse, ce sont les « vrays et plus proches héritiers » qui « succèderont auxdits Duché et seigneuries », sans que « les rois en puissent rien quereller » ( = contester).

Ce traité, qui, hélas, sera une fois de plus violé par la France, EST L’ŒUVRE MAJEURE d’Anne de Bretagne. N’aurait-elle que ce traité à son actif, cela ferait d’elle une héroïne.

 

 

II - LA RESTAURATION DE L’ETAT ET DU GOUVERNEMENT BRETONS PAR ANNE DE BRETAGNE (1498-1514).

 

 

 

Sur le terrain, l’œuvre politique d’Anne de Bretagne est considérable :

 

- Le titre de Duchesse, dès la mort de son mari Charles VIII, redevient effectif (oh combien !) sous le règne de Louis XII. C’est elle qui gouverne – en coordination avec son mari (qui porte aussi le titre de Duc), et avec la chancellerie qui, en fait, interviennent peu (Lepage, thèse, et l’Union, p. 127).

 

- Elle rétablit la Chancellerie (Premier ministère), et le gouvernement (le Conseil ducal) d’une manière spectaculaire, deux jours après la mort de son mari Charles VIII, le 9 avril 1498.

 

- Elle reprend le contrôle des Etats de Bretagne, quoique ceux-ci continuent à être convoqués officiellement par Louis XII. Elle participe à l’activité législative, et à la politique fiscale . Charles VIII avait diminué les impôts, dans le but de se concilier la population. Elle accentue cette politique, fort appréciée de ses sujets (le fouage, de 12 livres par feu pendant les guerres, est ramené à 4 livres certaines années) (Lepage, thèse, p. 147).

 

- Elle se rend maîtresse des grandes nominations dans l’administration, dans les finances, dans la justice, et « rebretonnise » toutes les grandes fonctions (Id. 215).

 

- En excellentes relations avec la Papauté, elle obtient du pape un Décret (un « motu proprio »), aux termes duquel seuls des Bretons peuvent obtenir des bénéfices ecclésiastiques en Bretagne, c'est à dire être nommés évêques ou abbés (Quillet, 311).

 

- Dans le domaine militaire, elle nomme des Bretons dans les principaux postes, quoiqu’elle aide son mari dans sa politique de conquêtes en Italie, sans l’approuver.

 

- Elle brise la politique monétaire de Charles VIII. Dès son arrivée à Nantes, en 1498, elle fait battre des monnaies à son nom, dont la fameuse « cadière » d’or (du latin : chaise) sur laquelle elle figure en souveraine, assise en majesté sous un dais, tenant l’épée nue dans la main droite, pointée vers le haut, le sceptre dans la main gauche. Le contrat de mariage impose que le roi doit "mettre en ses titres Duc de Bretagne pour les affaires du Pays" (Cf. Daniel Cariou).

 

- La politique d’Anne a une portée idéologique forte, destinée à affirmer péremptoirement l'identité bretonne. Entre autres choses, passionnée d’histoire, elle fait écrire deux histoires de la Bretagne, remplissant ses devoirs de souveraine ; elle continue les travaux de construction du Palais des Ducs ; elle fait édifier le monument funéraire de ses parents, l’un de plus beaux du siècle …

 

Lorsqu’elle meurt, la Bretagne est redevenue bretonne, et LIBRE. Elle a eu l’habileté de se réconcilier – au moins en apparence - avec les grands du Duché (Rohan, Rieux…) ; elle est adulée par son peuple, qui sait ce qu’il lui doit : l’élimination des Français, la DIGNITE retrouvée. Il est mensonger et puérile de nier son oeuvre.

 

 

 

 

III -  L’OBSESSION DU MAINTIEN DE L’INDENDANCE DU PAYS APRES SA MORT.

 

 

 

 

Pendant onze ans (1499 à 1510), Anne et Louis ne parviennent à avoir qu’une fille, malgré leur fort désir d’avoir d’autres enfants. Claude, fille unique d’Anne, est l’héritière de droit du trône de Bretagne. Selon les lois de dévolution en vigueur en France, l’héritier de Louis XII est son plus proche parent, son jeune cousin François d’Angoulême, fils de Louise de Savoie.

Pour Louis XII, l’union de sa fille Claude avec François va de soi : cela représente la réunion de leurs patrimoines ; les petits-enfants à venir perpétueront sa lignée sur le trône français. Anne ne veut à aucun prix de ce mariage qui, elle disparue, a toutes les chances de rendre inéluctable l’annexion de la Bretagne par la France, dont elle connaît les convoitises. L’indépendance suppose que la Bretagne – qui abhorre l’idée d’être « fusionnée » avec le royaume ennemi, suppose que le Pays conserve son prince « naturel », ses institutions, son gouvernement. Le traité du 7 janvier 1499 A ETE FAIT POUR CELA, pour rien d’autre. Anne, qui a une forte influence sur son mari, développe une opiniâtreté étonnante pour prévenir ce désastre. Ce qui constitue, pour ce couple plutôt uni, un sujet de discorde permanent, Louis XII ayant peine à comprendre les motivations de sa femme :

 

- En 1501 et en 1504, deux traités promettent Claude en mariage à Charles de Gand, petit-fils de Maximilien d’Autriche (l’ex-premier mari d’Anne). Cet illustre bambin n’est autre que le futur Charles Quint. Anne n’a pas été Impératrice : sa fille le sera. L’une des clauses du contrat : la Bretagne appartiendra aux deux époux, non au roi de France ! (Sismondi, XI, 4).

 

- En 1505, à l’occasion d’une grave maladie du roi, Anne envisage de fuir à Nantes, par la Loire, pour se mettre à l’abri, ayant tout à craindre de Louise de Savoie et de son fils François, avec sa fille, celle-ci étant garante de l’indépendance du pays. C’est une sage précaution, compte tenu des mœurs de l’époque. Le projet est éventé … et le roi guérit. Anne reste donc à la Cour, avec son mari, qui ne lui conserve d’ailleurs aucune rancune (Sismondi, XI, 7), son attitude ayant été légitime.

 

- En 1506, bravant sa femme, à la supplication des Etats généraux de France, Louis XII fiance Claude et François d’Angoulême, héritier du trône de France, ce qu’il désire, d’ailleurs, ardemment. Furieuse, « moult déplaisante », Anne arrache à son mari Louis XII un addendum par lequel elle se réserve, s’il lui naît un fils (elle n’a que 29 ans), de disposer de la Bretagne en sa faveur, ce qui préservera l’indépendance du Pays (Mor. III, 879. Lacroix, 338)

 

- Jusqu’à sa dernière maladie, en 1513, Anne tente d’avoir d’autres enfants ; elle fait ce qu’il faut pour cela, bien que son mari soit chroniquement malade. En 1510, naît une fille viable, Renée (qui, éloignée de France, deviendra duchesse de Ferrare en 1528) ; en janvier 1512, elle accouche d’un garçon mort né : la malchance la poursuit : la duchesse héritière Claude n’échappera pas à son destin : épouser François, futur roi de France (De Maulde, 313).

 

- L’un de ses derniers projets, peu avant sa mort, est de faire passer sur la tête de sa deuxième fille, Renée, les droits de sa sœur Claude, laquelle, même si elle épouse François, futur roi de France, cessera d’être Duchesse de Bretagne (on est mal renseigné sur ce projet, mais on sait que Louis XII, à la fin de 1514, Anne étant décédée y pensera aussi) (Puault, De Maulde, ).

 

Son plus cher désir, celui de protéger son Pays, et de faire en sorte qu’il ne devienne jamais français ne se réalisera pas : Anne meurt trop jeune, à 37 ans, le 9 janvier 1514, laissant deux filles mineures aux mains de François I er, de sa mère Louise de Savoie, du Chancelier Duprat, un trio corrompu, d’une malhonnêteté peu commune, qui vont « broyer » les deux princesses bretonnes.

 

 

 

IV - LE CARACTERE D’ANNE DE BRETAGNE.

 

 

Les pamphlets publiés sur Anne de Bretagne déshonorent ceux qui les ont écrits. Deux  d'entre eux, publiés par Minois et Quilliet chez Gallimard, sont particulièrement haineux. Les actes de la Duchesse, les archives très fournies, ses lettres, les témoignages des contemporains, confrontés aux données des sciences psychologiques (la caractérologie de le Senne, principalement), permettent de savoir avec précision qui elle fut : un être humain très remarquable.

La caractérologie – Anne est une Active, une Emotive, une Secondaire – la classe dans le groupe des « passionnés », dans cette catégorie de personnages situés au sommet de la pyramide des caractères, groupe très particulier qui compte nombre des grands personnages qui ont fait l’histoire ou l’ont très fortement marquée (parmi eux : Alexandre, César, Louis XI, Michel - Ange, Richelieu, Louis XIV, Pierre I er, Frédéric II, Napoléon Ier, de Gaulle…).

 

 

- UNE FEMME D'ACTION. Anne conçoit et décide vite. Elle est réaliste et lucide. Elle agit avec fermeté, se projette dans le futur, respecte ses décisions, vise des résultats, et les obtient.

L’oisiveté qui lui est imposée par Charles VIII est aux antipodes de son caractère. Elle donne sa pleine mesure dès la mort de son mari. Levée tôt, couchée tard, elle gouverne la Bretagne

d’une main ferme, mais aimante. Ses activités à la Cour sont débordantes. A ses rôles de reine et de femme, qui devraient l’accaparer à plein temps, s’adjoignent d’autres. Elle tient école de vertu ; ses « dames », jeunes filles de bonne famille et méritantes, au nombre de près de deux cents, reçoivent à son contact une éducation exemplaire. Elle écrit, s’informe, agit, se préoccupe de tout, reçoit les ambassadeurs. De plus, elle co-gouverne la France avec son mari, les ministres étant en relations permanentes avec elle - en particulier le Chancelier le cardinal d’Amboise -, dont plusieurs lui doivent leur carrière et leurs fonctions.

 

 

- UNE FEMME TRES MORALE ET TRES REFLECHIE. La fantaisie n’est pas son lot. Ses décisions sont pesées, mûries, réfléchies. Elle est très écoutée de son mari, et lui évite de faire des fautes politiques majeures, notamment avec la Papauté. Elle n’est pas écoutée pour les guerres d’Italie, qui sont, en effet, un désastre. Sa réputation de sagesse est admirée de toute l’Europe.

 

 

 

- UNE GRANDE SIMPLICITE DE VIE. Comme tous les personnages de la famille caractérologique des « passionnés » Anne, dans le cadre grandiose de la Cour, qu’impose sa Dignité de Duchesse, de Reine, de première princesse de la Chrétienté, vit très simplement, avec son mari et sa fille (bourgeoisement, dit de Maulde, 225, 226) (cf. Pierre I er, Frédéric II, Napoléon I er .. tous soucieux de grandeur, mais simples dans leur existence quotidienne ; Le Senne, 386). Les parures, les bijoux, le luxe sont nécessaires à la manifestation de la grandeur symbolique qu’elle incarne, non une manifestation d’orgueil. Toute portes closes, elle porte des vêtements simples, sans bijoux, et mène avec son mari une existence presque spartiate. Claude est élevée strictement, selon les principes d’Anne. On est aux antipodes de l’éducation d’enfant « gâté » donnée à François par Louise de Savoie, qui en fait un enfant futile, cruel et immoral, entièrement livré à son bon plaisir et à ses instincts, non un « Chevalier », comme on l’a dit (Sismondi,

 

 

 

- UNE FEMME SENSIBLE ET GENEREUSE. Comme tous les passionnés, elle impressionne lorsqu’on ne la connaît pas, au point de faire presque peur (cf. Louis XIV, Napoléon, de Gaulle …). Mais ce n’est qu’une apparence ; la bonté et le respect d’autrui lui sont naturels, surtout lorsqu’ils sont en situation d’infériorité (ses serviteurs …), alors qu’elle est hautaine avec les prétentieux, et ceux qu’on dénomme les « Grands ». Elle donne par générosité, par bonté (ses œuvres charitables sont infinies, sa piété est ardente et entière, sa vertu un roc ; De maulde, 116), et parce que ses revenus considérables lui imposent d’aider les autres. Elle est l’inverse d’un « panier percé » ; elle gère ses biens avec économie ; à sa mort, elle laisse une fortune impressionnante, due à sa vertu de dépenser beaucoup moins qu’elle le pourrait, là ou les princes du temps sont toujours en déficit (De Maulde, 302, 340 ; Mor. Pr. 1372). Ce trait de caractère est une certitude, non une hypothèse (les sottises écrites sur ce point abondent, par Minois notamment, qui confondent le cadre princier dans lequel vivent les princes, et leur caractère) (Le Senne, 363).

 

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Il n’y a, sur ce personnage très remarquable, aimant passionnément son pays et ses Bretons, de notes discordantes que chez certains « hystoryens" » qui pensent qu'une biographie consiste à accumuler quelques dates, quelques ragots de plus ou moins mauvais goût, que vomir sur autrui (en recopiant copieusement, en l'espèce, ce que Michelet, qui détestait Anne de Bretagne, a écrit), sans la moindre connaissance des sciences psychologiques, donne de l’importance. Douée – comme tous les passionnés – pour l’autorité et le commandement, il n’y a, chez elle, aucune trace de cruauté, ni aucune tendance à faire de mal à quiconque, sauf si l’on s’attaque à elle, et même si elle sait punir ses ennemis, surtout s’ils commettent un crime de lèse majesté (en pareil cas, punir est un devoir, il est heureux qu’elle l’ait fait : à travers sa personne, c’est la Bretagne qui est concernée : cf. l’affaire Rohan-Gié, De Maulde, 158, 163, 182)) – comme aussi pardonner. Connue dans le monde entier comme l’une des grandes figures de l’humanité, elle est, reste, restera la grande héroïne des Bretons : les sots et les mesquins n’y pourront rien. (Google : une exposition porcine melennec, site).( Louis Mélennec, Le caractère et la personnalité d’Anne de Bretagne à la société d’histoire et d’archéologie de Nantes, 2002 : standing ovation, mais aucune réinvitation par la suite) (Pour les apprentis biographes : Le Senne, PUF, Traité de caractérologie, Paris, 1952, 658 pages).

 

 

 

 

LOUIS MELENNEC.

 

Cet article a été écrit en 2009. Il est relu en 2017 : tout ce qui est écrit ci-dessus est exact. On l'aura sans doute compris : Le bon docteur appartient aussi au groupe caractérologique des passionnés, ce qui rend pour lui particulièrement aisé la lecture du caractère des personnes de son propre groupe.

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