François de Valois, "Duc de Bretagne". Réactions des Bretons

22/05/2024 23:02

François de Valois, Duc de Bretagne. Réactions des Bretons.

Un problème a souvent été soulevé : la vraie Duchesse n'était-elle pas Renée plutôt que
Claude ? Dans la mesure où le traité de mariage d'Anne de Bretagne et de Louis XII prévoyait que le deuxième enfant – le premier étant devenu roi de France – monterait sur le trône de Bretagne, Claude était-elle habilitée à devenir Duchesse ? Lors du procès qu'elle fit à son neveu, Charles IX, à son retour d'Italie, Renée devenue veuve du Duc de Ferrare soutint cette thèse en justice. Dans sa requête au roi 
cclxxxi elle écrit : " Par le traité de mariage entre le Roi Charles VIII et la Royne Anne, mère de la suppliante, appartiendroit au second enfant le duché de Bretaigne;
et depuis, par le traité de mariage d'entre le Roi Louis XII et la Royne Anne, ses père et mère, le duché de Bretaigne appartiendra au second enfant de leur mariage, soit masle ou femelle."

En réalité, les droits de Claude au trône de Bretagne ne font aucun doute. Les lois de dévolution de la couronne dans le duché, moins rigides qu'en France, appelaient la fille aînée à la succession de son père décédé, à défaut d'héritier mâle cclxxxii. Il n'y a aucune trace que la légitimité de Claude ait été contestée en Bretagne durant son règne. Plusieurs mentions explicites de son titre de Duchesse, à elle donné dans des actes ou comptes-rendus officiels démontrent que telle était bien sa qualité cclxxxiii. Le problème aurait pu se poser si Claude avait été mariée à François, Dauphin de France, du vivant d'Anne de Bretagne. Le danger de voir engloutir le duché dans le royaume aurait alors peut-être conduit à prendre des mesures destinées à prévenir la situation. Anne aurait-elle pu modifier la loi de succession, et imposer Renée sur le trône après elle ? Rien ne prouve qu'elle eût obtenu le consentement des États. Renée, au demeurant, était âgée de quatre ans seulement lors de la mort de sa mère en 1514 ; il n'était pas sans risque de placer une enfant sur le trône et de désigner un régent. D'autant que le traité de mariage d'Anne et de Louis XII prévoyait qu'à défaut de deuxième enfant habile à succéder à la reine, la clause valait pour les générations suivantes, le deuxième enfant – mâle ou femelle – de Claude devenant l'héritier de la couronne ducale.

On n'a pas conservé de trace des réactions des Bretons au mariage de Claude avec François de Valois. Cette union ne fut pas pour eux une surprise, ayant été décidée huit ans auparavant, en mai 1506, à l'occasion des États de Blois. Leurs députés y avaient d'ailleurs été appelés, et il semble qu'ils aient témoigné la même opposition que les français aux fiançailles de Claude avec Charles d'Autriche cclxxxiv. De plus, ils eurent vent des pourparlers en cours en vue du remariage du roi avec une princesse d'Angleterre. Le Duc de Valois n'était donc que le " présomptif ",
l' "héritier apparent", comme le dit Saint Gelais lors des fiançailles de 1506 : rien ne prouvait encore que François deviendrait roi de France.

On a souvent écrit que François n'a pas porté le titre de Duc de Bretagne. Les déclarations de Renée, lors du procès intenté par elle au roi Charles IX à son retour d'Italie, ont accrédité cette idée cclxxxv. Rien n'est plus faux. La tradition bretonne n'interdisait pas à un prince étranger, devenu mari de la Duchesse, de prendre le titre de Duc, même si, aux yeux des Bretons, il n'était rien de plus qu'un " prince consort" cclxxxvi.

François porta son nouveau titre immédiatement, car il est vrai qu'il était prestigieux cclxxxvii. Une anecdote rapportée par Fleuranges en témoigne. Lorsque Marie d'Angleterre, la nouvelle reine de France, arriva à Abbeville, le 8 octobre 1514, François convia à souper les princes d'Angleterre. Premier prince du sang, il avait l'habitude qu'on lui donnât du " Monseigneur ". Or, les Anglais s'obstinaient à l'appeler " Monsieur le Duc". Il s'en étonna " vu qu'il y en a tant par le monde, et que vous l'êtes comme moi", leur dit-il. A quoi ils répondirent : " que c'estoit pour ce qu'il estoit duc de Bretagne [et] que c'estoit la principale duché de toute la chrestienté, et qu'il se devoit nommer duc, sans queue", c'est à dire sans autre précision, le titre se suffisant à lui-même cclxxxviii. Tel était en effet le prestige des ducs de Bretagne, que partout, eux et leurs ambassadeurs passaient devant tous, immédiatement après les rois, car leurs ancêtres avaient été rois, et fort antiquement cclxxxix. On vit encore François faire ostensiblement étalage de son titre de duc de Bretagne, en novembre 1514, lors des joutes organisées à Paris à l'occasion du mariage du roi, dans lesquelles il porta les couleurs de la reine ccxc. Devenu roi le 1er janvier 1515, il n'en fit plus usage dans sa titulature habituelle, mais conserva son titre de duc de Bretagne pour tous les actes de gouvernement réalisés dans le duché. Il évita de s'en servir d'une manière publique pour la double raison que, roi d'un pays ennemi de la Bretagne, il ne fut jamais accepté sincèrement par les Bretons. Ce que confirment les juristes du roi Charles IX dans un acte en réponse à la duchesse Renée de Ferrare : Si le roi François 1er, écrivent- ils, ne porta pas le titre de duc de Bretagne, ce n'est pas parce qu'il n'y eut pas droit, mais parce que " cela se faisoit pour desmouvoir (= ôter l'émotion) un peuple qui estoit encore rebelle et contumax de sa nature, et d'autant plus difficile à dompter [qu'il avait] la mémoire, le souvenir et la douleur du prince en son pays ..." ccxci. Rares sont en effet les actes dans lesquels les Bretons acceptent de reconnaître le roi de France comme duc de Bretagne ccxcii.

II. La dépossession de Claude de son héritage.

Anne disparue, sa fille se révéla incapable de prendre la moindre décision. Elle n'avait aucun goût pour les affaires d'État. La chancellerie de Bretagne continua à exister, distincte de la chancellerie de France. Philippe de Montauban, chancelier, avait été restauré dans ses fonctions par Anne de Bretagne, en même temps qu'elle rétablissait le gouvernement breton par une initiative spectaculaire prise le 9 avril 1498, le surlendemain même de la mort de son mari Charles VIII ccxciii. Le chancelier de Montauban, serviteur fidèle de la monarchie bretonne, resta en fonction jusqu'à son décès, en juillet 1514 ccxciv.

1°) L'administration du duché est confiée à François d'Angoulême ; lettres patentes du 27 octobre 1514.

A peine sa fille mariée, Louis XII, Duc de Bretagne par sa femme, fit l'objet de sollicitations pressantes de la part de son gendre et de ses amis. Les revenus du duché étaient considérables ; en 1514 – 1515, ils avoisinaient 500 000 livres, soit un cinquième environ de ceux du royaume : de quoi permettre à François, en plus de ses autres ressources, de faire figure de grand seigneur et de dépenser beaucoup ccxcv. Fleuranges relate ainsi les hésitations du roi ccxcvi " En faisant ce mariage, il luy bailloit le duché de Bretaigne pour en jouir présentement. Mais cela ne [se]fist pas sans beaucoup d'affaires, car le roi, qui estoit un peu chatouilleux sçavoit bien comment

il avait faict au feu roy, et craignoit que le dict sieur d'Angoulesme ne luy en voulust faire autant" ccxcvii . Le dauphin fut " merveilleusement bien servi, spécialement par Monsieur de Boissy, grand mestre de France, et par le trésorier Robertet, qui pour lors gouvernoit tout le royaume".

Du côté breton, on connaît mal les préliminaires de l'opération ccxcviii. L'extrême susceptibilité des Bretons pour tout ce qui concernait leur gouvernement et leurs institutions donne à penser qu'il y eu négociations préalables avec le roi. Les États semblent avoir sollicité cette passation de pouvoirs. L'acte du 27 octobre 1514 l'affirme explicitement ccxcix " Loys par la grâce de Dieu, Roy de France ... comme depuis le trespas de feu nostre très chère et très-amée compagne la Royne, comme père et légitime administrateur de nostre très-chère et très-amée fille Claude de France et duchesse de Bretagne...par les gens des trois Estats d'icelluy pays nous a esté très-instamment supplié et requis, que pour le bien, proffit et utilité dudit pays et duché, et en ensuivant les coustumes, us et observances d'icelluy pays, voulussions de laisser ledit duché de Bretaigne et la totale administration d'icelluy à notre très-cher et très-amé fils le duc de Vallois, comte d'Angoulesme...".

Les lettres royales confèrent à François l'administration du duché : " Ledit duché, ensemble l'administration, maniement et totale disposition dudit duché et affaires d'icelluy, avons délaissé et délaissons à notre dit filz, le duc de Vallois, comte d'Angoulême". L'acte comporte une réserve importante. Il est accompli conformément aux "coutumes, us et observances d'icelluy païs" : François devient duc, non pas en vertu du pouvoir du roi de disposer de l'administration du duché, mais " comme mari et espoux de nostre dite fille Duchesse de Bretaigne". L'acte ajoute : " Voulant que doresnavant il pourvoye aux faicts et affaires dudit pays, soit en finances, bénéficies, offices et autres choses qui y pourront cy-après survenir". La délégation de compétence est donc totale.

D'autre part, il lui confrère le titre de duc de Bretagne : " Que ce faisant, il se dise, porte, nomme et intitule Duc de Bretagne". Les droits de Renée sont explicitement réservés. Tout ceci, est-il précisé, se fait "sans préjudice du droict de nostre tres-chere et tres-amée fille Renée de France a et peut avoir audit pays et Duché".

Le 18 novembre, délivrance fut faite du duché à François d'Angoulême par acte séparé rédigé dans des termes identiques ccc. Dom Morice confirme les évènements de la manière suivante :
" Le comte d'Angoulême ne devait pas voir tranquillement un mariage (celui de Louis XII avec la princesse Marie d'Angleterre) qui pouvait l'exclure un jour de la couronne. Pour le dédommager, en quelque sorte, du tort qu'on lui faisait, il demanda l'administration du duché de Bretagne, comme époux de Madame Claude, à qui cette principauté appartenait depuis la mort de la reine Anne. Le roi, qui comptait la gouverner lui-même sous le nom de ses filles, ne reçut pas bien la proposition du Duc d'Angoulême. Il craignait que ce jeune prince, devenu maître de la Bretagne, n'abusât, au préjudice du royaume, de la puissance où on l'élèverait. Il savait l'embarras que cette province avait causé aux Rois, ses prédécesseurs, et il n'avait pas oublié les troubles qu'il avait occasionnés lui-même en France par l'appui qu'il avait trouvé à la cour du Duc François II. Quelque répugnance qu'il eût d'accorder au Duc d'Angoulême ce qu'il demandait, il céda aux instances des États de la Province, qui entrèrent volontiers dans les vues de ce jeune Prince, dans l'espérance d'être gouverné comme il l'avait été sous les ducs".

François ne daigna pas rendre visite aux Bretons. Il se contenta d'y envoyer en mission Antoine Duprat, alors Président au parlement de Paris. Selon Paul Lacroix, cela ne se passa pas pour le mieux. La question fut portée devant le Conseil du roi ccci.

L'accession de François d'Angoulême au duché de Bretagne a souvent été mal interprétée. Lobineau et Morice parlent de "don", de "cession" du duché par le roi de France à son neveu. cccii Cette manière de présenter les choses est inexacte : Louis XII n'avait aucune possibilité de donner à quiconque un duché qui ne lui appartenait pas. François devint duc de Bretagne, selon une procédure régulière, les États étant intervenus dans le débat. Les actes du 27 octobre et du 18 novembre furent certainement rédigés après concertation entre la chancellerie de Bretagne et la chancellerie de France.

 

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