La mort de Charles VIII, une bénédiction pour la Bretagne

23/01/2024 23:18

1498 LA MORT DE CHARLES VIII 

 

Marié le 6 décembre 1491, Charles VIII meurt précocement, six ans et demi après son mariage avec Anne de Bretagne, à la suite d'un accident banal. 

On ne lui connaît pas de maladie majeure, mais il est atteint, de maladies vénériennes chroniques, due à sa vie intempérante, à une époque où il n’existe pas de thérapeutiques efficaces pour traiter ces maladies. Ces maladies ne sont pas mortelles dans l’immédiat, mais évoluent sur des périodes longues. Il est également malformé, comme presque tous les membres de sa famille : son père Luis XI est d’une laideur spectaculaire, sa mère n’est pas belle, sa sœur la princesse Jeanne de France, épouse de Louis XII, sa nièce Suzanne, fille d’Anne de Beaujeu présentent des malformations diverses, certaines sévères … Lui même est petit et laid, un nabot, ses genoux sont cagneux, et ses deux pieds sont pourvus de six orteils, son visage est inquiétant, avec ses yeux globuleux et son nez volumineux et crochu remplit tout son visage. Quilliet l'appelle "le nabot couronné" !

De plus, son intelligence est des plus minces; d'après les ambassadeurs italiens, c'est à peine s'il connait les lettres !

Philippe de Commynes, son contemporain, décrit sa mort avec précision. Nous reprenons ici sa relation, qui n'a guère besoin ni d'être remaniée, ni d'être complétée (La Pléïade, 1442).

Le 7 avril 1498, des jeux de paume sont organisées dans les fossés du château d'Amboise. Le roi, partant de la chambre de son épouse Anne, décide de l'y conduire. Entrant dans une galerie pour s'y rendre – lieu malodorant et sale, car « tout le monde y pissait » (sic), dit le chroniqueur -, quoique de petite taille, il heurte du front le linteau de la porte. Il descend néanmoins dans les douves, regarde les joueurs un temps assez long, et même converse avec les spectateurs. L'évêque d'Angers, présent, rapporte ce dont il est témoin. Le roi semble remis de sa commotion. Il s'entretient avec ceux qui l'environnent. A l'évêque, auquel il s'est confessé deux fois au cours de la semaine précédente, il déclare qu'il espère ne commettre jamais de péché mortel, ni même véniel, car il est très pieux. Il est deux heures de l'après midi environ. Ce sont ses derniers propos. Puis, il tombe à la renverse, et perd l'usage de la parole. Mais celle-ci lui revient, pour peu de temps, à trois reprises. … Il a épousé contre les lois divines la femme d’un autre, le roi Maximilien, a pourtant commis des péchés gravissimes, en déclarant la guerre au duché de Bretagne et en ordonnant des destructions terribles dans ce pays, et en étant responsable de dizaines de milliers de morts en Bretagne comme en Italie, en trompant sa femme par adultère, en violation des lois canoniques, qui imposent à l’homme doit la fidélité à son épouse

 

On le transporte dans l'infecte galerie, et on le couche sur une paillasse, pas même un lit. Il invoque Dieu :

 

« Que mon Dieu et la glorieuse vierge marie, monseigneur Saint Claude et monseigneur saint Blaise me soient en aide ! ».

 

Les médecins s'agitent, mais ne peuvent rien pour lui. Il meurt à 9 heures du soir, dans ce lieu d'infection, sans même avoir été transporté dans sa chambre.

 

Commynes commente : « Et ainsi, un si puissant et un si grand roi quitta ce monde, et en si misérable lieu, lui qui avait tant de belles maisons, et qui construisait un si beau château à Amboise ».

 

On a évoqué plusieurs causes à cette mort prématurée, comme toujours dans ces temps ou la médecine ne sait ni diagnostiquer, ni rien traiter, ou presque.

On a parlé d’apoplexie. Qu’est-ce qu’une apoplexie ? Personne ne le sait. On a évoqué un catharre qui serait descendu dans la gorge du pauvre roi. Bien entendu, on a aussi pensé qu’il a été empoisonné. Une légende a même couru : Anne de Bretagne aurait fait assassiner son mari par ses sbires ! Pire : elle lui aurait versé elle même le poison. Il est vrai qu'en Italie, l’usage du poison était fréquent, et qu’ Espagne comme partout en Europe, la mort de Charles VIII fut saluée comme la vengeance de Dieu. Les Français auraient dissimulé le crime, par honte, la Sérénissime république étant probablement la cause de l’affaire. Quel beau drame ! Victor Hugo aurait pu le mettre en scène : la femme humiliée se vengeant du vainqueur indigne ! Cela aurait été un beau crime, en vérité, l'expression de la justice : le criminel qui a détruit la Bretagne, mis à mort par la main de sa victime, la Duchesse souveraine de Bretagne, qu'il avait eu l'audace de priver de son titre.

On a aussi évoqué l'idée que l'empoisonnement aurait été perpétré par d'autres mains criminelles, Charles VIII étant détesté de toute l’Europe. A cause de ses guerres, non seulement a été honni de l'Europe pour ses crimes en Bretagne, mais il a commis des dégâts considérables au cours des invasions de l'Italie.

 

La vérité est plus prosaïque. La version de Commynes est la bonne. Il la tient de l'évêque d'Angers, confesseur du roi. Personne n'a jamais apporté la moindre preuve de l'assassinat. On tient pour certain aujourd'hui que le roi Charles VIII est mort d'un banal hématome intra-crânien, c’est à dire d’un volumineux épanchement de sang comprimant le cerveau . Depuis des dizaines d'années, la neuro-chirurgie sait traiter cela, à condition d'agir vite, par un simple trou de trépan percé dans la boite crânienne, qui permet par aspiration d'évacuer la collection de sang répandue sur les méninges.

 

Que serait devenue Anne de Bretagne si la neuro-chirurgie avait existé en ce temps là ? Son mari aurait été opéré dans la journée, et aurait survécu. Attendu ce que le bon roi avait fait du beau Duché de Bretagne, qu'il l'avait volé aux Bretons, et qu'il y fit tant de mal en si peu de temps, il avait transformé sa femme en ilote politique, vivant en recluse dans les palais de son mari, comme une prisonnière dans un harem. Une prisonnière de luxe, en somme, ce dont elle fut sûrement très malheureuse. Ce fut une mort providentielle, telle que les Bretons n'auraient pas osé l'espérer. 

L'une des clauses majeures du contrat de mariage imposé à la Duchesse le 6 décembre 1491, retrouvait ses effets : n'ayant eu de son mari aucun enfant survivant, elle redevenait de plein droit duchesse de Bretagne. Ce qu'elle démontra presqu' immédiatement par des actes souverains plus que symboliques : le rétablissement du gouvernement breton, supprimé par son mari, et la nomination d'un chef des armées bretonnes.

 

(Plus tard, ceci étant mentionné ici pour l'anecdote, le roi Henri II, fils de la duchesse Claude et de François Ier, ayant été mortellement blessé au cerveau par un coup de lance, ses médecins, pour déterminer le trajet des dégâts intra-crâniens, firent décapiter quatre criminels détenus dans la prison du Châtelet, et disséquèrent ensuite ces têtes découpées, pour tenter de trouver remède au roi délirant. Ce qui n'empêcha nullement le roi de passer de vie à trépas au septième jour).

 

Les réactions d'Anne à la mort de son mari.

 

D'après les historiens et les témoins du temps, le chagrin de la Duchesse fut spectaculaire, comme dans certains pays ou la douleur s'exprime par des cris, de l'agitation, et des manifestations bruyantes, là où d'autres se font un devoir de retenir leurs larmes, ce que souligne Minois avec délectation. Fut-il sincère ? Nul ne le sait : elle l'avait aimé, croit-on, dans les suites de son mariage ; mais aimait-elle encore cet homme qui avait détruit son pays, et n'avait cessé de la tromper  lorsqu'il mourut ? On la retrouva prostrée sur le sol, refusant de s ‘alimenter. Nouveau triomphe pour Minois et Quilliet, deux Bretons qui la trainent dans la boue dans leurs ouvrages, qui trouvent l’un et l’autre le moyen de la dénigrer : cette comédienne aurait joué la comédie du chagrin ! Forcément, cette « espagnole » par sa mère (sic!) Une femme aimante n'a - t- elle pas le droit de réagir ainsi, c'est même assez fréquent, à ce que l'on sait.

Le bon professeur Minois, breton (?) a une autre version de la chose , toujours très personnelle : ..

Bernard Quilliet s’exprime lui aussi avec la même élégance : « La reine, comme à chacun de ses deuils, brame de douleur avec une énergie peu commune ». Comme un baudet, en somme.

La preuve qu’elle n’est pas sincère : veuve le 7 avril, dès le lendemain, elle arbore son titre de duchesse,  et  rétablit le gouvernement breton !

 

 

 

Anne a-t-elle été fière de sa nouvelle dignité de reine de France ? Elle était déjà reine des Romains, depuis le mois de décembre 1490, par son Mariage avec Maximilien d'Autriche, titre particulièrement prestigieux. Ce n'est pas une duchesse que le roi de France avait épousée, en 1491, mais une reine, dont le mari Maximilien est le chef des rois chrétiens. Il n'est pas anodin d'être l'épouse du roi le plus plus prestigieux de la Chrétienté, même s'il n'est pas le plus puissant. Dans ses actes de gouvernement, elle se pare de cette Dignité avec fierté, qui fait d’elle la bru de l'Empereur du Saint Empire Germain Romain Germanique Frédéric III ..

Pour Anne de Bretagne et son Pays, le mariage avec Charles VIII ne fut certainement pas, comme l'a soutenu devant moi Philippe Contamine, alors professeur d'histoire médiévale à la Sorbonne, une "promotion". « Vous conviendrez, m'a-t-il dit, qu'elle a été "bien contente" de devenir reine de France » !

Ma réponse, cinglante, le sidéra :

« Ce mariage, imposé par l’invasion de la Bretagne, fut pour nous un déshonneur ».

Et, de fait, le mariage avec Charles VIII fut une annexion.

 

 

LOUIS MELENNEC  

 

Transmettre à Ouest-Torche, pour rééducation.

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