Résumé. L’hommage des Ducs de Bretagne aux rois de France, et, le cas échéant, aux rois d’Angleterre, sont de simples contrats d’alliance et de non agression. Ils ne comportent en aucun cas le moindre droit d’un quelconque roi étranger d’empiéter sur les prérogatives souveraines de la Bretagne, qui est un pays distinct des autres, et totalement indépendant. Ceci est précisé ici d’une manière péremptoire, à l’attention des « hystoryens » bretons qui, n’étant pas juristes, n’ont jamais, à ce jour compris – ni voulu comprendre -, ni la signification, ni le contenu de ces contrats, induisant des erreurs grossières dans l’analyse des relations brito-françaises, jusqu’à ce jour. Ni d’ailleurs répondu aux offres de collaboration qu’on leur a faites en son temps, dans des termes les plus courtois : mais la Bretagne reste ce qu’elle est : ne retournons pas le fer dans la plaie. Le présent article sera suivi d’un autre, précisant les subtilités contentieuses de ces « accords » contractuels, conclus entre deux pays résolument ennemis : la Bretagne et la France.
Louis Mélennec, docteur en droit, historien.
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Je rappelle ici ces phrases péremptoires du duc souverain Jean IV, destinées à son voisin le roi de France Charles V, que j’ai publiées ailleurs, maintes fois, et que j’ai traduites en français moderne pour les rendre compréhensibles :
« Qu’il plaise, à vous, roi de France, et à votre Conseil, de savoir ceci : …. Le Pays de Bretagne est un Pays distinct et séparé des autres, sans qu’il y ait rien dans ce pays qui ne relève du sort de son gouvernement, qui est universel. Anciennement, ce Pays était un royaume, et était gouverné par des Rois, ainsi Judicaël, Salomon, Conan … qui ont gouverné en gouvernement royal….. Il apparaît clairement qu’il a été et qu’il est encore royalement tenu. Le Duc de Bretagne est en possession des droits royaux, sans que nul autre que lui, en sa Principauté de Bretagne, y ait rien à voir. Ni vous, ni aucun de vos prédécesseurs Rois de France n’ont jamais été reconnus, ni par moi, ni par aucun de mes prédécesseurs, comme Souverain. »
Jean IV, duc de Bretagne, au roi de France Charles V, mai 1384.
Traduisez, en langage moderne : « Monsieur le roi de France : allez VOUS LA FAIRE METTRE ».
Réveillez-vous, messieurs les hystoryens : cette lettre a été écrite au XIV ème siècle !
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Le problème soulevé par l’hommage du duc de Bretagne dans les derniers siècles du moyen-âge, revêt une grande importance DANS LA RECONSTRUCTION DE L’HISTOIRE DE LA BRETAGNE, et des relations brito-françaises, pour la raison que voici.
(Cet article n’a pu être terminé à ce jour, par défaut de temps).
Après d’autres auteurs, éminents quoique peu connus en Bretagne – Antoine DUPUY, surtout Marcel PLANIOL, celui-ci probablement le plus grand juriste dont la Bretagne, qui en a fourni bien d’autres -, nous avons démontré que la Bretagne ducale, comme tous les Etats du monde, en particulier l’Angleterre, la France, l’Aragon, la Castille … s’est constituée progressivement en un Etat » centralisé » autour de son Souverain et de son gouvernement, ceux-ci, peu puissants au cours d’une partie de l’histoire de la Principauté, réunissant entre leurs mains des prérogatives de plus en plus importantes, étendant leur sphère d’action de plus en plus, au point d’être reconnus et obéis sur toute l’étendue du territoire, même si les » féodaux » locaux conservent eux-aussi de larges pouvoirs pendant longtemps.
En raison des inexactitudes grossières figurant dans les manuels d’histoire – principalement de ceux écrits sous l’influence des historiens marxistes et de leurs héritiers, qui ont encore la mainmise sur le discours historique en Bretagne – il persiste une interrogation dans l’esprit des quelques dizaines de milliers de Bretons qui se passionnent pour l’histoire de leur pays. Comment – s’interrogent – ils -, la Bretagne peut – elle être à la fois un Etat indépendant et souverain (rappelons, une fois de plus, que la Bretagne possède sa dynastie, son gouvernement, son parlement général, sa justice, sa législation, ses monnaies, son armée, sa diplomatie, et que nul pays étranger ne possède la moindre possibilité de s’immiscer dans les affaires bretonnes … ), alors que, lorsqu’un nouveau Duc monte sur le trône de Bretagne, lorsqu’un nouveau roi de France – ou d’Angleterre, à certaines époques – inaugure son règne, le Duc de Bretagne se rend en grand arroi auprès du roi de France, et LUI PRÊTE ce que l’on dénomme un » HOMMAGE « , c’est à dire vient incliner sa tête devant lui, dans un acte qui ressemble, au moins en première analyse, à un acte de soumission, ou de subordination ? Certains » hystoryens » bretons, quoique, depuis plusieurs années, on s’évertue à leur fournir une bibliographie conséquente, afin qu’ils puissent s’instruire, et cesser d’induire définitivement leurs lecteurs en erreur. Aussi la présente étude se conclut-elle, une fois de plus, par une bibliographie copieuse, qui s’étend du 10ème siècle à nos jours.
QU’EST-CE QUE LA FEODALITE ? Il est plus facile de décrire la manière dont fonctionne la féodalité que de la définir simplement. Jean GERNET, professeur au collège de France, membre de l’institut, écrit dans son monumental ouvrage sur le monde chinois (Armand Colin, édition de 1990, page 55), cette phrase capitale : » On a tant abusé du terme » féodal « , qu’il a perdu toute signification : mieux vaut s’en passer, et se borner à caractériser par ses institutions spécifiques le système économique et social « .
L’exposé ci-dessous obéit à des règles nécessaires à la parfaite compréhension de ce problème qui, si la terminologie de l’époque médiévale était conservée telle quelle, le rendrait incompréhensible. J’ai adapté mon vocabulaire pour que ce difficile problème de l’hommage devienne enfin limpide. Il n’y a donc aucune chance que le lecteur ne comprenne pas ce qui va s’écrire ici, sur ce qu’a été l’hommage prêté aux rois de France (et aux rois d’Angleterre, d’ailleurs), quels en ont été les enjeux, comment et pourquoi cet hommage N’A JAMAIS ALTERE, si peu que ce soit, la totale souveraineté de la Bretagne, et comment les rois de France, abusant de leur puissance, de plus en plus importante à mesure que croissaient les terres, se sont servis de cette vieille institution pour tenter d’empiéter sur les prérogatives souveraines des Bretons, manoeuvres qui ont toutes échoué, au point qu’ils ont du recourir aux invasions armées illégitimes pour s’emparer du Duché Souverain, à partir de 1487, puis l’annexer en 1532, pour le digérer. Digestion d’ailleurs fort difficile, puisqu’il a fallu les abominations de 1789 et du 19ème siècle pour détruire totalement les institutions autonomes de ce pays.
Tout ce qui est écrit ci-dessous est EXACT. J’ai procédé, pour que mon discours soit accessible, dans tous ses éléments, à des simplifications indispensables : les termes de technique juridique ont été systématiquement éliminés; les formules obscures ont été bannies; le vocabulaire, la construction des phrases, la syntaxe, sont ceux de la vie courante, ou mieux, ceux que l’on utilise lorsqu’on écrit une oeuvre littéraire, dont on souhaite qu’elle soit de qualité.
Si la science, en effet, est bloquée au moins pendant un temps, que dire de l’histoire, surtout manipulée par des incultes ? Ou des menteurs, comme les marxistes ? On prête à Napoléon Ier cette belle phrase, sans doute apocryphe, mais magnifiquement énoncée :
» L’histoire est une collection de mensonges sur lesquels tout le monde est d’accord, ou fait semblant de l’être «
La vérité ne triomphe que lentement, et tant que le pouvoir en place a les moyens coercitifs pour enseigner SA vérité, il faut bien y croire, ou faire semblant d’y croire. Mais cela ne peut plus durer, du moins quant à l’histoire de la Bretagne.
Il y a longtemps que je promets aux lecteurs un article sur l’hommage, en particulier sur l’hommage que les Ducs de Bretagne ont prêté aux rois de France. Il y en aura d’ailleurs deux, le deuxième étant consacré aux subtilités de la lutte juridique des deux pays ennemis, le premier – la France – essayant sans jamais se lasser d’abuser de sa force, le second – la Bretagne -, le renvoyant à coups de poings dans les cordes, comme un boxeur qui n’a aucune intention de se laisser faire.
J’expliquerai aussi, dans le débat qui va suivre, pourquoi des erreurs GRAVES continuent à être colportées dans les ouvrages écrits par le historiens bretons.
L’HOMMAGE A EU, AU COURS DE L’HISTOIRE, UNE GRANDE IMPORTANCE. Non pas que son contenu et sa signification fussent obscurs pour les juristes du temps (nous allons le voir ci après), mais les prestations d’hommage des Ducs souverains ont constitué des temps forts de notre histoire nationale bretonne, et qu’ils ont « cristallisé une partie de nos contentieux avec notre voisin glouton, devenu plus tard notre marâtre : la France.
La plus grosse absurdité que j’ai relevée, porte la signature de Georges Minois, qui a acquis un beau style au fil des années, mais qui écrit trop vite. Voici l’une des âneries que j’ai relevée dans son ouvrage sur Duguesclin, pas très bon si j’en crois la spécialiste de l’époque, Françoise Autrand, et qu’il répète ailleurs. Elle mérite d’être encadrée : faites le sans hésiter :
» Depuis quatre siècles que les ducs prêtent hommage aux rois de France. Ils reconnaissent donc qu’ils sont leurs sujets, et que la Bretagne fait partie de la France « ….
(Je cite de mémoire. Je rétablirai plus tard le texte exact).
(J’ai promis, depuis longtemps, de publier un florilège de l’honorable auteur sur Anne de Bretagne, une vraie et authentique garce à ses yeux – que dire, UNE SALOPE, en quelque sorte : voir ci-après).
Mon exposé comporte trois parties :
– La première partie traite de LA THEORIE DE L’HOMMAGE au moyen âge, savoir : Pourquoi le prête-t-on, quel est son objet ? Qui ? A qui ? Comment ? Quels sont ses effets juridiques, tant pour celui à qui il est prêté, que pour celui qui le prête ? Comment prend fin l’hommage ? Comment peut-on le rompre ? Quelles sont les sanctions prévues par le droit lorsque les parties manquent à leurs obligations ? Cette partie théorique est absolument CAPITALE; sans son étude attentive, on ne peut rien comprendre dans les relations brito-françaises au moyen âge, et pourquoi les historiens bretons, par défaut de connaissance du droit médiéval, sont restés dans l’obscurité.
– La deuxième partie traite de L’HOMMAGE DES DUCS SOUVERAINS DE BRETAGNE AUX ROIS DE FRANCE (et aux rois d’Angleterre, à l’occasion). Il s’agit ici, principalement, de démontrer comment et pourquoi, simple contrat d’alliance civile et militaire entre deux souverains, les rois de France (et d’Angleterre, à l’occasion), ont tenté, sans relâche, de détourner le sens et la lettre de ce contrat d’alliance, pour essayer de faire des Bretons, non des alliés, mais des SUJETS. Jusqu’à l’échec final des Français dans ces tentatives grossières, qui ne leur a plus laissé qu’une solution pour s’emparer du Duché Souverain : la guerre, l’invasion.
La présente étude comporte aussi une analyse des erreurs graves commises par les « hystoriens » bretons qui, même très connus, ne connaissant rien du droit médiéval, ont fait une confusion GROSSIERE, qui produit encore ses effets : savoir qu’ils ont cru – par ignorance du droit, nul ne pouvant s’ériger en savant dans une discipline qui n’est pas la sienne – que l’hommage créait entre la France et la Bretagne UN LIEN DE SUBORDINATION. Alors que la subordination se définit par la soumission à un Etat, un pays, une institution, une personne dont on reconnait la supériorité, la Souveraineté (terme qu’il faut préférer à » indépendance « ), se définit par LA DETENTION EFFECTIVE DES POUVOIRS SOUVERAINS par l’Etat en cause : le gouvernement, la diplomatie, la monnaie ….. toutes prérogatives que possède, sans AUCUN DOUTE POSSIBLE, la Bretagne, tout comme l’Angleterre, la Castille, la Navarre, l’Ecosse au moyen-âge.
Le problème de l’hommage des Ducs n’est ni une matière pharmaceutique, ni une matière poussiéreuse. La Bretagne doit préparer avec méthode sa réapparition sur la scène internationale. Ce n’est certes pas pour cultiver d’une manière pathologique un passé lointain : un pays qui n’a pas d’histoire n’a aucun avenir; la Bretagne doit se préparer à entrer dans une nouvelle ère, celle de la Souveraineté retrouvée. Place nette doit être faite de tout ce qui a été frelaté dans l’histoire de la Bretagne, comme dans tous les pays envahis, conquis , et subjugués. Pas de Bretagne future sans une nouvelle doctrine. Pas de doctrine efficace celle qui serait fondée sur des mensonges ou sur des inexactitudes. Ce qui va être dit ici est nécessaire, ET STRICTEMENT EXACT, jusqu’à la virgule près, afin que de nouvelles querelles ne renaissent plus. (Si possible : la querelle est une seconde nature chez les Bretons. Ce pourquoi ils sont esclaves de la France, car ce sont leurs divisions stupides qui les ont précipité dans l’abîme).
Ce sujet ne peut ni être traité valablement par les historiens stricto-sensu. Chacun a ses compétences. Ici, on se trouve dans le domaine du droit strict, et encore, dans un domaine très spécialisé du droit médiéval. La littérature est immense; pour la lire et la comprendre dans son entier, il faut non seulement la lire, il est strictement nécessaire d’être juriste.
Dans l’esprit de la plupart – après 1901, année de la mort de La Borderie, notre grand historien romantique -, le fait que le Duc prête hommage, est synonyme de sujétion au roi de France, de subordination. Leur raisonnement est le suivant : » Le Duc prête hommage au roi de France. DONC, il se reconnait son sujet. DONC, la Bretagne fait partie du royaume de France; DONC, la Bretagne n’est pas indépendante « . Pour le juriste, cette proposition confond deux notions complètement différentes : le lien de subordination, et la Souveraineté.
Rien de ce qui est écrit ci-après n’est nouveau. Je n’invente ni ne détruit rien. Les obligations féodo-vassaliques sont définies très tôt en droit médiéval. Il est navrant que les historiens bretons n’aient pas approfondi leurs connaissances sur ce point, ce qui éviterait à y revenir encore en 2010.
Ce chapitre sera complété de références, qui renvoient aux ouvrages qui font autorité. Par expérience, le débat Internet en Bretagne se faisant essentiellement par l’échange d’injures, on ne va pas jusqu’à penser qu’elles seront consultées : tant pis, la vérité s’impose peu à peu. Les présentes chronique ont déjà renversé définitivement un certain nombre d’idées fausses.
I – THEORIE SIMPLIFIEE DE L’HOMMAGE ; COMMENT ET POURQUOI UN SEINEUR PRETE HOMMAGE A UN AUTRE SEIGNEUR. L’EGALITE DE DROIT DES PARTIES AU CONTRAT.
1 – OBJET DU CONTRAT FEODO-VASSALIQUE, PAR LEQUEL DEUX SEIGNEURS S’ENGAGENT L’UN A L’EGARD DE L’AUTRE.
Qu’est-ce que la féodalité ?
Il existe, dans le monde féodal, s’agissant du problème traité ici, deux situations principales dans lesquelles deux seigneurs contractent l’un à l’égard de l’autre des obligations réciproques :
a – PREMIER CAS : LE PROPRIETAIRE D’UNE TERRE, TOUT EN CONSERVANT SA PROPRIETE, EN CONCEDE LA JOUISSANCE A UNE AUTRE PERSONNE. Une personne, propriétaire d’une terre et des bâtiments qui s’y trouvent, concède à un autre la jouissance de cette terre, et des bâtiments qui s’y trouvent (château, habitations, fermes, moulins ….). En droit féodal, en France, le propriétaire est appelé » sire « , ou plus communément « seigneur « . La personne bénéficiaire de cette concession, est appelée » vassal « .
Fait important, le vassal n’est pas nécessairement moins puissant que le seigneur : le roi d’Angleterre est vassal du roi de France à une certaine époque (par les terres possédées en Aquitaine, notamment), mais il est son égal; Louis XII, roi de France, prête hommage au roi de Rome Maximilien d’Autriche, pour le Duché de Milan, en 15…, mais, quoique son vassal pour ce Duché, il est beaucoup plus puissant que lui !). Etc.
S’agissant de la propriété du bien concédé à la personne qui va en avoir la jouissance, le » seigneur « conserve la propriété du bien donné en concession (en droit moderne, on dirait qu’il conserve la » nue propriété « ). La personne qui jouit du bien qui lui est concédé, n’est ni de près ni de loin le propriétaire : il ne possède QUE ce que l’on dénomme en droit moderne l’USUFRUIT.
Ce n’est pas un don, ni une vente, ni une cession de propriété, c’est ce qu’on appelle en droit médiéval un bienfait, plus exactement un » bénéfice « (en latin : beneficium…). Rapidement, le terme de » fief » a remplacé celui de bénéfice.
Il en résulte que le fief ne peut être ni cédé, ni vendu par son bénéficiaire. En principe, il n’est pas héréditaire.
Bien entendu, cette concession du » seigneur » au » vassal » n’est pas gratuite. Elle comporte pour celui qui a la jouissance du bien concédé, des obligations – une contre – partie en quelque sorte -, qui vont être analysées ci-après.
Pour transposer dans notre société moderne, on peut imaginer un propriétaire A possédant un ou plusieurs immeubles, de vastes terres, des fermes, qui concède en location (ou à bail), par contrat, les appartements à des locataires. Le bénéficiaire B verse en contrepartie une certaine somme d’argent (trimestrielle, annuelle), pendant une période déterminée. Entre les deux hommes, il y a CONTRAT, car c’est ainsi que les juristes dénomment ce type d’opération.
Fait capital, cette situation ne se rencontre QUE dans le cas ou le » sire » (ou seigneur) est EFFECTIVEMENT PROPRIETAIRE de la terre qu’il concède en fief. CE N’A JAMAIS ETE LE CAS POUR LE DUCHE DE BRETAGNE, qui ne doit rien aux rois de France, qui n’a JAMAIS fait partie du royaume de France, et dans lequel le roi de France n’a jamais exercé aucune prérogative de droit public ou de gouvernement, si ce n’est par abus de droit, à des époques de « faiblesse » de la principauté bretonne.
En revanche, il est exact que, de même qu’ils ont bénéficié de vastes terres et seigneuries en Angleterre, par la grâce des souverains anglais (le Comté de Richmond, principalement), les Ducs de Bretagne se sont vu concéder EN SIMPLE JOUISSANCE, plusieurs seigneuries situées en France, appartenant au roi de France, sans aucune sorte de doute ou d’ambiguité. Il s’agit, principalement, des Comtés de Montfort l’Amaury, de Vertus, de Neauple le Château, la seigeurie de Chanteauceaux (La B. 5, 66), les terres de Rethel et de Nivernois (id).
b) DEUXIEME CAS : DEUX PERSONNES NOBLES CONVIENNENT, D’ UN COMMUN ACCORD, DE NA PAS S’AGRESSER, MAIS AU CONTRAIRE DE S’AIDER MUTUELLEMENT, en particulier en cas d’agression armée de l’un ou de l’autre, ou de guerre.
Deux personnes, A et B, s’engagent l’une envers l’autre, à se rendre des services réciproques équivalents. Le cas le plus simple est celui de deux seigneurs qui s’engagent d’une part à ne pas s’agresser mutuellement (en droit moderne, ce type d’engagement se nomme « pacte de non agression »), à ne pas se faire de tort, et, de plus A S’AIDER MUTUELLEMENT si l’un ou l’autre entre en guerre contre un autre seigneur, ou s’il est attaqué.
Dans le cas de la Bretagne et de la France, c’est bien d’une alliance militaire, d’aide et de non agression que concluent le Duc de Bretagne et le roi de France, rien d’autre.
Il est ESSENTIEL, pour bien comprendre toute la problématique de l’hommage, de bien distinguer ici ces deux cas parfaitement distincts : quiconque n’a pas bien assimilé cela ne peut rien comprendre à la problématique de l’hommage des Ducs de Bretagne, tant aux rois d’Angleterre que de France.
– D’une part, le Duché de Bretagne N’A JAMAIS FAIT PARTIE DU ROYAUME DE FRANCE.
– D’AUTRE PART, même si, jadis, le duché avait fait partie du royaume, les CAPETIENS, au pouvoir depuis 987, ne sont ni de près, ni de loin, les successeurs des CAROLINGIENS. Les héritiers » légitimes » des Carolingiens …
– ENFIN, JAMAIS – nous disons : JAMAIS -, les DUCS N’ONT DU LEUR DUCHE AU ROI DE FRANCE. On ne peut donner que ce que l’on a. Les Capétiens, à leurs débuts, sont des princes pauvres, petits, des » principicules « . Leur principauté s’étend, tout au plus, de Senlis à Orléans. L’équivalent de deux départements actuels tout au plus. Ce n’est qu’au fil des générations et des siècles que les Capétiens agglutinent autour de leur territoire des provinces, des seigneuries, des territoires, qui, in fine, sous Louis XII (qui meurt en 1515, un an exactement après son épouse Anne de Bretagne), qui sont si vastes qu’ils finissent par « ressembler » à la France actuelle. A cette époque, la Bretagne ne fait pas partie de la France. Elles ne sera annexée qu’en 1532. Comment la Bretagne, étrangère à ce minuscule royaume de France à la fin du 10ème siècle, aurait-elle pu être concédée aux Ducs bretons par un prince si petit et si faible ?
2 – LES FORMES ( = LES FORMALITES, pour exprimer plus simplement les choses) PAR LESQUELLES LE CONTRAT EST CONCLU.
Lorsqu’un quidam achète un kilog de pommes de terre chez son épicière – ce qui constitue un authentique contrat -, les formes sont réduites au minimum : l’épicière remet le kg de pommes de terres à l’acheteur, qui la paye du prix affiché. C’est aussi simple que cela.
En revanche, lorsqu’il s’agit de vendre un bien immobilier (un appartement, un immeuble, un terrain …), les formalités sont complexes : elles passent par le canal d’un notaire, qui s’assurent que les conditions de la transaction sont bien réunies,
Il en va de même pour le contrat féodo – vassalique : le seigneur ne confie évidemment pas le bien qu’il concède – surtout s’il est important (un comté, une vicomté …) – à son vassal sans prendre les précautions indispensables.
a – Les préliminaires à la cérémonie de l’hommage. Cette phase est presque toujours omise par les auteurs classiques.
a – Le » don » des mains. En latin, cela se nomme : l’immixio manuum ( = l’immixion des mains). L ‘homme qui prête hommage place ses mains dans celles de celui qui reçoit l’hommage. Celui ci-replie ses doigts sur les mains introduites dans les siennes. L’homme qui a introduit ses mains dans celles du » seigneur « , dit les paroles sacramentelles, qui sont généralement celles-ci, avec des variantes : » Je vous demande de me considérer comme votre homme; JE LE VEUX ( = volo) « . Le » seigneur » prononce souvent, les paroles convenues (avec des variantes) : « Je vous reçois (ou je vous accepte) pour mon homme; JE LE VEUX « .
b – Le serment. Ce serment est inconstant. Celui qui s’est engagé à l’égard du » seigneur « , prête serment sur les écritures saintes (la bible ou les évangiles), et sur les reliques (un cadavre de saint, un fragment conservé de son corps, des objets sacrés, la croix, etc…..). Le texte du serment est parfois : très court, du type » Je m’engage à me conduire en homme loyal, et à respecter tous les engagements que cela comporte » . Mais il peut être beaucoup plus long, et énumère les obligations que le » vassal » s’engage à respecter. Pour les Ducs de Bretagne – nous allons le voir plus loin – celui-ci se limite – volontairement, pour n’être, en réalité, engagé à rien, à une formule aussi vague qu’imprécise.
c – Le baiser (en latin : oscultum). Souvent, les deux hommes s’embrassent ….. sur la bouche. Ce n’est pas un rite homosexuel, c’est une simple tradition. Les formulaires contiennent parfois la mention : » je vous reçois et prend comme homme, et vous baise en nom de foi « . Ou encore : » je vous reçois comme mon homme, ». Par décence, les femmes sont en principe dispensée du baiser.
c – L’acte écrit. Dans les cas ordinaires, ceux dans lesquels le seigneur qui prête l’hommage est petit et sans importance, on ne juge pas nécessaire de rédiger un acte écrit, pour des raisons évidentes : tout se passe oralement, rapidement, et sans cérémonie. Le seigneur lui même n’est souvent pas présent en personne, et délègue pour le remplacer l’un de ses proches, de ses conseillers, ou un clerc.
Pour les seigneurs importants, attendu que les conséquences de cette cérémonie formalisent un vrai traité, au sens juridique du terme, risquent de soulever des contentieux – surtout si, plus tard, en dépit des engagements qu’ils ont pris de ne pas s’agresser, ils se font la guerre, ce qui est survenu plusieurs fois (rappelons seulement qu’en 14… Les armées de Charles V …… et qu’en 145…. ce sont les armées bretonnes et leurs alliés bourguignons qui ont envahi la France…), non seulement un acte écrit est rédigé, mais les actes témoignant des hommages antérieurement prêtés sont exhibés, pour bien rappeler ce qu’ils ont été et les engagements antérieurs qui ont été contractés par les deux parties. Non seulement un acte est rédigé, mais il l’est en présence de témoins, de juristes, de notaires, et même des Premiers ministres des deux gouvernement en cause, c’est-à-dire des Chanceliers des deux parties.
Le Duc de Bretagne, nous l’avons dit maintes fois, n’est pas seulement un seigneur important, c’est un personnage CONSIDERABLE en Europe, l’un des tous premiers princes chrétiens. des précautions toutes particulières sont prises, comme, en général, pour tous les contrats importants.
II – LES EFFETS JURIDIQUES DU CONTRAT : CE A QUOI S’ENGAGENT LES PARTIES CONTRACTANTES.
A – LES DROITS ET OBLIGATIONS : L’EGALITE DES PARTIES.
1 – Caractères généraux de l’engagement du seigneur et du vassal.
Presque tous les historiens bretons – je ne connais guère d’ exception – se sont lourdement trompés sur ce chapitre : ils ont cru, peu ou prou, que l’hommage du Duc de Bretagne au roi de France créait juridiquement UN LIEN DE SUBORDINATION ENTRE LE ROI DE FRANCE ET LE DUC DE BRETAGNE (dans le langage du temps, on n’emploie pas le terme de subordination, mais celui d’obéissance, qui est son quasi-synonyme).
L’ engagement réciproque n’a absolument pas pour objet de faire du vassal un » subordonné » du seigneur, un » sujet « , encore moins un esclave ou un domestique, mais un ALLIE, un AMI, à charge pour lui, en échange, d’accomplir certaines contre-parties.
– Les parties qui s’engagent l’une à l’égard de l’autre sont des hommes LIBRES. Même sous les carolingiens.
– Les parties s’engagent par LEUR LIBRE CONSENTEMENT, sans contrainte. Une loi capitulaire de 847 édicte : » Nous voulons que chaque homme libre, dans notre royaume, choisisse le seigneur QU’IL VOUDRA, soit nous-même, soit l’un de nos fidèles « . (Boutruche, tome 1, page 365). Par définition même, l’accord qui se conclut entre les deux hommes qui s’engagent, est exclusif de toute contrainte. Cette règle – en droit, nous verrons que dans les faits le plus fort abuse souvent de sa force -, est impérative; c’est une condition sine qua non…. On en trouve des dizaines de preuves dans les livres et dans les archives …. que nos historiens bretons n’ont pas lus, bien entendu.
– Le propriétaire du bien concédé en bénéfice ou en fief, commet une faute GRAVE s’il use, d’une manière ou d’une autre, de la force, alors que tous les contentieux doivent se régler par l’application du droit. Au point qu’une capitulaire ( = une loi) impériale du 9ème siècle, décide que si le seigneur essaie de réduire son vassal en servitude, celui-ci peut rompre le lien qui les unissait jusque là.
– Le mot » vassal » n’a pas de connotation péjorative. Dans sa signification primitive, il signifie » ami « , en aucun cas » sujet « , ou esclave, ou subordonné.
Croire – et surtout écrire – que le Duc de Bretagne est le » subordonné » du roi de France ou d’ Angleterre, sur la seule considération qu’il lui a prêté hommage, est, on le voit, au plan juridique, une ENORMITE. Voila qui est dit. On espère que cela est bien compris, UNE FOIS POUR TOUTES.
2 – LES DROITS ET OBLIGATIONS RECIPROQUES.
Fait important, TOTALEMENT IGNORE de nombre d’ HISTORIENS BRETONS, les droits et obligations réciproques sont STRICTEMENT LES MÊMES qualitativement pour celui qui prête l’hommage et fait le serment de fidélité (dans le cas présent : le Duc de Bretagne) et celui qui à qui il est fait (dans le cas présent : le roi de France). Souvent, dans les textes du temps, et les actes contractuels rédigés à l’occasion de la prestation de serment, utilisent pour celui qui reçoit le serment, et celui qui le prête, les mêmes termes de concilium et d’auxilium. Il n’y a donc pas lieu d’étudier séparément les droits et devoirs des deux parties, CAR CE SONT LE MÊMES (nous verrons plus loin que, dans les faits, le plus fort abuse souvent du plus fort – ce qui est une règle UNIVERSELLE -, mais ceci est une autre affaire).
a – L’engagement de ne causer aucun dommage à l’autre co-contractant.
Au sens large, c’est un pacte de non agression. Les deux seigneurs en cause s’engagent à ne pas se combattre, à ne pas se faire la guerre, et à ne se causer aucun tort.
Celui qui jure fidélité s’engage avant toute chose, à ne pas nuire à celui à qui il prête hommage. Il s’engage à respecter sa personne, ses desseins ( = ses intentions, ses projets), son rang, ses possessions; il ne doit porter aucune atteinte à sa sécurité, ni opposer obstacle au bien qu’il peut faire dans ce monde (Fulbert de Chartres, ….. Robert Boutruche, Paris, 1959, tome 1, page 200).
Cet aspect peut étonner aujourd’hui, car il semble aller de soi. Il s’explique par le fait que le monde médiéval est violent, le droit et les principes de la religion n’y sont pas respectés, chacun est menacé en permanence par son voisin. Sous François II, on verra encore ce traité fort singulier pour nos contemporains : le roi Louis XI lui demande de s’engager par écrit à ne pas l’agresser; le duc de Bretagne exige, par écrit, dans les mêmes termes, la réciprocité (Morice, à compléter).
– Corrélativement, celui qui reçoit le serment s’engage, très symétriquement, à ne causer aucun tort, à n’agresser son « vassal » dans aucun cas.
Au sens plus précis, cette obligation vise :
– la personne physique des co-contractants. Il est assez amusant, pour nos contemporains, de lire des phrases telles que celles-ci : (à compléter)
– la famille des parties. Certains écrits précisent : « Moi, seigneur, je m’engage à ne pas violer la femme ni les filles de mon vassal » (!)
– Les biens.
– Les personnes.
b – Le conseil (consilium). Les deux parties s’engagent à se conseiller loyalement, dans tous les cas où cela s’avère nécessaire. Cette obligation de conseil est large. Dans son cadre, le vassal s’oblige, si nécessaire, à se rendre auprès du seigneur, pour participer à son tribunal, pour juger, etc. Corrélativement, le seigneur s’engage à faire bonne justice à son vassal.
c – L’aide militaire (auxilium). Les deux parties s’engagent réciproquement à s’apporter l’aide militaire, pour le cas où l’un ou l’autre est menacé par des armées ennemies, des brigands, des pays étrangers, etc.
Comme l’écrit excellemment Suger, principal ministre du roi Louis VI le Gros, si le vassal demande le secours du seigneur, celui-ci » doit considérer ces maux ( = ceux dont il est victime ou menacé) comme les siens, ou les rendre impossibles « . Excellente formule, qui résume très bien l’assistance qui est due au vassal (Boutruche, tome 2, page 394).
B – HOMMAGE LIGE ET HOMMAGE SIMPLE.
Il traîne encore dans de nombreuses publications bretonnes l’inexactitude que voici : » Les Ducs sont indépendants des rois de France, PARCE QU’ILS NE PRÊTENT PAS un HOMMAGE LIGE, mais un HOMMAGE SIMPLE. Cette formulation est inexacte. Il est nécessaire de préciser le contenu et la signification de ces deux formes d’hommages.
HOMMAGE LIGE. L’hommage dit « LIGE » n’a nullement pour effet de créer une subordination de celui qui le prête, à l’égard de celui à qui il est prêté.
Qu’est-ce que la ligesse, qu’est un hommage lige ? Assez rapidement, dès les Carolingiens, peut-être avant eux, les nobles, soucieux d’arrondir leur patrimoine et d’augmenter leur puissance, accumulent plusieurs fiefs – parfois même un nombre élevé, jusqu’à plusieurs dizaines – qui leur sont attribués par des seigneurs différents. En quelques sorte, ils reçoivent de plusieurs propriétaires, pour en avoir la jouissance, des terres multiples.
Or, qu’advient-il si les seigneurs en cause entrent en conflit, et s’ils se déclarent la guerre ? Le Duc de Bretagne, outre son Duché, dont il est le » Souverain seigneur « , jouit en France, par la concession qui lui a été faite par le roi de France de plusieurs comtés et vicomtés (Etampes, Vertus, Neauphle le Château …), et en Angleterre (comté de Richmond …).
Si le roi de France et le roi d’Angleterre se déclarent la guerre, de quel côté va-t-il se ranger ? Va-t-il combattre avec les Anglais ou avec les Français ?
Les juristes du temps ont imaginé une solution astucieuse : créer une » hiérarchie » entre les hommages qui ont été prêtés par le bénéficiaire des fiefs. L’un de ces hommages est dit » lige « . Cela signifie, en clair, que si les deux seigneurs qui ont concédé des fiefs à des vassaux, entrent en guerre, le bénéficiaire du fief devra se ranger du côté des armées de celui auquel il a prêté l’hommage lige en premier lieu. En termes modernes, la « ligesse » est – et n’est que cela -, une alliance PRIORITAIRE. Par exemple, si un noble reçoit deux fiefs situés l’un en France, l’autre en Angleterre – les cas de cette nature sont nombreux -, le bénéficiaire , dans le cas où les deux rois entrent en guerre, doit se ranger obligatoirement du côté de celui auquel il a prêté cet hommage dit « lige ». L’hommage lige ne transforme donc pas celui qui le prête en un » sujet « . Il s’agit donc, ici encore, d’un accord CONTRACTUEL par lequel le bénéficiaire du bénéfice accepte des obligations plus fortes que s’il avait prêté un hommage simple. La » ligesse » institue, simplement, un ordre de priorité à l’égard des différents seigneurs dont on a reçu des » bénéfices « , ou « fiefs « .
Les lecteurs familiers de l’histoire de Bretagne savent qu’à certaines époques, la France et l’Angleterre se sont trouvées en situation de guerre, et que, souverain suprême dans son Duché de Bretagne, le Duc avait obtenu des deux rois en question des fiefs dans les deux royaumes (en France, il a été, pendant longtemps, comte d’Etampes, comte de Montfort l’Amaury, etc.; en Angleterre, il a été comte de Richmond). Il a donc été intéressant pour les deux rois de « faire pression » sur le duc de Bretagne pour qu’il se reconnaisse homme lige, et inversement, afin de bénéficier du concours des armées bretonnes en cas de conflit entre les deux royaumes. Arthur de la Borderie a consacré, dans son histoire de Bretagne, de longs développements à cette matière, notamment lors de l’accession de Jean IV au trône de Bretagne.
On voit que l’on se trouve aux antipodes de ce que soutiennent encore les « historiens » mal informés, qui sont la quasi-totalité des auteurs d’aujourd’hui, en dépit des efforts que j’ai pu faire pour les informer, en ma qualité de juriste.
L’HOMMAGE SIMPLE.
Plusieurs ducs de Bretagne ont accepté de prêter l’hommage lige au roi de France, pendant approximativement un siècle et demi. Cette manière de procéder ne comporte à cette époque pour eux aucun inconvénient. Les rois de France, faibles, ne contrôlent effectivement que de petits territoires, et, même si les ducs leurs reconnaissent une supériorité honorifique, ces petits rois de France, géographiquement éloignés de la Bretagne (il n’y a pas d’autoroutes ni de TGV à cette époque !), ils ne constituent aucun danger pour les Bretons. Mais les choses changent à partir du 13ème siècle. Le royaume de France est devenu beaucoup plus vaste et plus puissant. Sous Louis XI, le duché d’Anjou et le comté du Maine, limitrophes de la Bretagne, sont intégrés dans le royaume de France. Et les rois de France ne dissimulent plus leurs intentions maléfiques à l’égard des Bretons : les invasions de l’ogre français sont proches, elles vont se déclencher à partir de 1487. Les rois de France essayant en vain d’exercer des pressions sur les Ducs souverains de Bretagne (voir Planiol, tome 3, pages 54 et suivantes), ceux-ci voyant très clairement à quoi tend la politique française, cessent brutalement, sous Jean IV (….), de prêter l’hommage lige, l’alliance sous cette forme avec la France devenant pleine d’inconvénient, et surtout dangereuse d’une manière évidente pour l’indépendance du Duché.
(Ce chapitre sera développé plus tard).
IL FAUT DONC CONCLURE TRES CLAIREMENT, TRES PEREMPTOIREMENT, DEFINITIVEMENT, SUR CE POINT:
– L’hommage des Ducs de Bretagne n’a jamais créé la moindre subordination du Duché à l’égard de la France. Dans TOUS LES CAS, il s’est agi d’un simple CONTRAT (d’un » traité « , si l’on veut), créant – en droit -, pour les deux partenaires des obligations égales et symétriques, en aucun cas un droit quelconque pour le roi français d’exercer la moindre autorité publique en Bretagne, pays totalement distinct, régi par ses propres lois et coutumes, sans que personne d’étranger puisse s’y immiscer.
– A certaines époques, les Ducs ont, en prêtant l’hommage lige soit au roi de France, soit au roi d’Angleterre, accepté contractuellement, en cas de conflit armé entre les deux rois, de se ranger prioritairement du côté de l’un d’eux, RIEN D’AUTRE. La vérité oblige à dire, aussi, que, seigneurs puissants entre les puissants, ils n’en ont fait qu’à leur tête et, la Bretagne ayant ses propres intérêts à défendre, prioritaires aux yeux du Duc, les engagements pris dans cette matière ne furent pas toujours été respectés, loin s’en faut !
La nature de l’hommage, et la manière dont il est prêté par les Ducs de Bretagne connaissent donc deux phases bien séparées, et dont la signification est aujourd’hui claire :
- De Arthur III à Jean IV, pendant un siècle et demi, de 1202 à 1350, les Ducs, ne se sentant pas menacés par les Français, trop faibles pour les envahir, et préoccupés par les problèmes incessants de leur royaume, acceptent de prêter un hommage prioritaire au roi de France, c’est à dire un hommage lige. Ce qui n’implique, nous l’avons dit, qu’une alliance préférentielle en faveur du roi de France, au cas où celui-ci entrerait en guerre contre l’un de ses ennemis, en aucun cas un quelconque privilège en sa faveur en Bretagne.
- Mais à partir du milieu du 14ème siècle, la France, devenue une puissance redoutable, est un danger pour la souveraineté de la Bretagne, et ne cache rien de ses ambitions. Le danger devient particulièrement fort sous le roi Louis XI, qui a agrandi son royaume de plus d’un tiers, instauré la paix avec ses voisins – à l’exception de la Bretagne et de la Bourgogne -, constitué des forces militaires redoutables, et augmenté ses ressources fiscales d’une manière considérable. Les Français, en effet, ayant envahi, confisqué ou annexé un certain nombre des principautés qui les entourent, prétendent asservir la Bretagne et les Bretons, et obliger ceux-ci à reconnaitre leur souveraineté, c’est à dire à se reconnaitre leurs sujets. Ce qu’ils refusent, absolument, catégoriquement, férocement : ils sont chez eux en Bretagne, ce pays est le leur.
Pour le Duché de Bretagne, les choses sont très différentes de la situation des comtés et seigneuries d’Etampes, de Montfort l’Amaury, de Neauple-le-Château cités ci-dessus. Les rois de France n’ont jamais été souverains en Bretagne, le Duché de Bretagne n’est en aucun cas une « concession » du roi de France, ni un bénéfice accordé par celui-ci, ni un fief. Pas davantage une « région » ou une « province » née de l’éclatement (un « démembrement », selon la terminologie du temps) de l’empire de Charlemagne et de ses successeurs, puisque la Bretagne n’a jamais été incluse dans cet empire. Les deux pays se sont constitués et développés côte à côte, par des processus similaires, sans que le roi de France ait la moindre autorité en Bretagne, sans que les Bretons aient jamais été ses « sujets », si ce n’est dans ses rêves ou dans ses prétentions. Le « souverain seigneur », le » prince naturel » de Bretagne est le Duc. Le roi de France y est strictement étranger. Pas seulement cela : il est le souverain d’un pays ennemi, avec lequel, même durant les périodes « calmes » et d’alliance apparentes, on est toujours en contentieux, même si l’on est contraint de coexister en paix, si faire se peut. La France et la Bretagne ne sont pas même des frères ennemis, mais des ennemis tout court, qui se vouent une haine implacable.
Comme on le voit, les historiens bretons ont très inopportunément CONFONDU deux notions qui, en droit comme en sciences politiques, sont résolument distinctes : le CONTRAT D’ALLIANCE entre le souverain breton et le souverain français, simple accord librement conclu entre les deux partenaires, et L’EXERCICE DES POUVOIRS SOUVERAINS.
Pour le lecteur qui aurait du mal à comprendre, on peut transposer la situation en droit moderne : la France a le droit de conclure des traités d’alliance avec qui elle veut (……). Pour autant, ces traités d’alliance ne donnent que le droit d’exiger ce qui a été conclu entre les parties, à l’exclusion de toute autre chose.
On voit à quel point il n’est plus possible d’écrire l’histoire aujourd’hui sans le secours d’une parfaite connaissance du droit médiéval.
III – LA FIN DU CONTRAT.
Deux situations doivent être distinguées :
1 – LIBERTE DES PARTIES CONTRACTANTES.
En principe, les parties ayant contracté de leur libre et pleine volonté, peuvent également rompre le traité librement.
En fait, si la règle est clairement énoncée par certains juristes, cela ne se produit pas dans les faits. La rupture unilatérale du contrat par l’une des parties est vécue par l’autre comme un acte d’hostilité, pire : comme un agression. Et si l’un est en situation de faiblesse, l’autre le lui fera payer au prix fort.
2 – MANQUEMENT DE L’UNE DES PARTIES A SES OBLIGATIONS.
Dans les faits, la rupture du contrat ne se produit QUE si l’une des parties manque à ses engagements. Les serments sont tels, en effet, qu’elles s’engagent, presque toujours, pour leur vie entière.
Les obligations des parties étant triples (voir ci-dessus), les manquements peuvent être classés en trois groupes :
a) Manquements au devoirs d’assistance militaire. C’est le cas le plus fréquent. Il tombe sous le sens que le vassal, chaque fois qu’il le peut, tente de se soustraire à l’obligation, toujours très lourde, résultant de l’accord – théorique – conclu avec le « seigneur ».
b) Manquements aux devoirs de conseil (consilium).
c) Manquements aux devoirs de ne pas causer de dommage ni au seigneur (par le vassal), ni au vassal (par le seigneur).
De nombreux serments contiennent des clauses qui, aujourd’hui, nous font sourire : le contrat est rompu, ipso facto, si le seigneur abuse ou viole la femme, la fille, la soeur , ou toute autre personne proche du vassal. Cette clause laisse clairement entendre que le « seigneur », lorsqu’il est puissant, abuse souvent de la situation.
B – L’INEGALITE DE FAIT DES PARTIES.
1 – PRINCIPE : EN DROIT, LE CONTRAT MET LES PARTIES A EGALITE. DANS LES FAITS, LA » SYMETRIE DES DROITS ET DES DEVOIRS N’EST QU’APPARENTE.
Il en va des relations entre les nations et les Etats, comme de celles des personnes physiques : Le plus fort abuse souvent de sa force, aux dépens du plus faible. Il en est des relations entre les parties au contrat féodo-vassalique comme de toute situation humaine : le plus fort, par définition, possède les moyens de faire pression sur ceux qui dépendent de lui. Le plus faible doit souvent s’incliner devant le plus fort, à peine de voir celui-ci susciter un faux conflit, pour obliger le plus faible à plier devant lui, y compris à ses dépens. Inversement, si le plus faible n’est pas contraint – par les sanctions auxquelles il s’expose, principalement -, de respecter ses engagements, il tente d’y échapper. On peut, légitimement, comparer cette situation à celle du propriétaire et du locataire d’un appartement ou d’un immeuble. Nombre de locataires ne s’empressent pas de payer leur loyer à leur propriétaire. Achille LUCHAIRE, dans son célèbre manuel, résume toute la question ainsi :
» Au fond, C’EST LA FORCE MATERIELLE QUI DOMINE TOUT. Les obligations féodales ne sont respectées que lorsque le suzerain est assez fort pour obtenir l’obéissance « .. » Le lien vassalique, unique principe d’ordre, est sans cesse rompu, et la foi constamment violée, SOIT PAR LE SEIGNEUR, SOIT PAR LE VASSAL ». (Manuel, Paris 1892; réédition de Genève, 1979, page 219).
Le contrat féodo-vassalique fonctionne donc en réalité très mal dans les faits.
Lors de l’éclatement de l’Empire carolingien, fondé par Charlemagne, ce que nous dénommons la » souveraineté « , ou la puissance publique, éclate en une multitude de seigneurs locaux, portant des noms divers (ducs, comtes, marquis, vicomtes ….), à la tête de territoires plus ou moins vastes, les uns très étendus, les autres fort petits. Il s’agit » d’une mosaïque d’Etats, dont les chefs portent des noms divers. » Ce sont de véritables petits Etats gouvernés par des dynasties héréditaires, qui exercent tous les droits régaliens. Au bout d’un temps, un « regroupement » , inversant le processus, se dessine. Certains de ces petits territoires, appelés « alleux », sont d’authentiques principautés autonomes, et mêmes souveraines. Voici comment, sans commentaires très longs, expose très simplement comment les plus forts s’emparent des possessions des plus faibles :
………………………
(Cet article comportera une suite et une conclusion ….. en temps opportun).
BIBLIOGRAPHIE SOMMAIRE.
On se reportera, pour une bibliographie plus complète, au deuxième article intitulé » L »hommage des Ducs de Bretagne aux rois de France, ou : « Je t’aime, moi non plus ».
Beaumanoir Philippe de, Coutumes de Beauvaisis, Paris 1974. Ouvrage majeur, et qui restera à jamais une base indispensable pour la compréhension du droit médiéval.
Boutruche Robert, Seigneurie et féodalité, Paris 1970, éditions Aubier-Montaigne. Remarquable, indispensable.
Contamine Philippe, Serments bretons, in Mélanges offerts à Jean Kerhervé, Rennes, 2008.
Ganshof F.L. Qu’est-ce que la féodalité, Paris, 1982, éditions Tallandier. Ouvrage majeur, véritable petit traité, qui contient tout ce qu’on doit savoir sur la matière.
Jeulin P., L’hommage de la Bretagne en droit et dans les faits, Annales de Bretagne, n° 41, 1934, pages 380 à 473. Exposé confus, sans ligne directrice, sans compréhension de l’enjeu politique de l’hommage : un instrument – inefficace – entre les mains des juristes royaux pour tenter de réduire la Bretagne; un instrument – efficace -, entre les mains de la chancellerie bretonne, pour bouter les Français chez eux, et les y maintenir. L’auteur a fait ce qu’il a pu. Non juriste, il a fait beaucoup plus mal que les juristes d’Anne de Bretagne : Alain Bouchard, Le Baud …, eux, ont parfaitement compris ce qu’est l’hommage. Mais eux étaient juristes, ce que ne sont ni M.M. Minois, Croix et autres.
La Borderie Arthur Le Moyne de, Histoire de Bretagne, Mayenne et Spezet, 1998 (deuxième édition).
Luchaire Achille, Manuel des Institutions Françaises, Genève 1892, Paris 1979. Pages 184 et suivantes, pages 2009 et suivantes.
Mélennec Louis, L’hommage des Ducs de Bretagne aux rois de France, ou : « Je t’aime, moi non plus ». Article très important, publié sur la toile, avec une bibliographie très importante.
Mélennec Louis, articles publiés sur la toile sous des titres divers : Souveraineté, Nations, Droits de l’homme, etc.
Planiol marcel, Histoire des institutions de la Bretagne, tome 3, pages 54 et suivantes. Très important, indispensable.
Timbal P.C. Histoire des institutions et des faits sociaux, Paris, 1961, éditions Dalloz. Ce petit traité, remarquable, a été réédité maintes fois, avec le concours de André Castaldo. La neuvième édition est de 1993.