4°) Le testament de Claude de Bretagne cccxl.
Le 26 juillet 1524, Claude mourut comme elle avait vécu : sans ennuyer personne. On ne connaît pas la cause de sa mort. Brantôme écrit : " Le Roy, son mary, lui donna la vérole, qui lui advança ses jours" cccxli. Louise n'eut apparemment aucun regret, ni de la perdre, ni de l'avoir "fort rudoyée durant sa vie". Elle note dans son journal : " Madame Claude, Reyne de France, et femme de mon fils, laquelle j'ai honorablement et amiablement conduite : chacun le sçait, vérité le cognoist, expérience le démonstre, aussi fait publique renommée" cccxlii. On fit les éloges d'usage et de belles funérailles. On prétendit qu'à sa mort " son corps fit miracles" cccxliii. Une grande dame des siennes, étant un jour tourmentée de fièvre chaude, recouvra soudain la santé. Clément Marot a laissé une épitaphe, d'une grande platitude : son modèle ne l'a pas inspiré cccxliv.
On ignore les conditions dans lesquelles Claude a testé. Etant donné ce que l'on sait de son manque de volonté, on peut présumer qu'elle rédigea son testament de la même manière qu'elle le fit pour les dons ci-dessus. La bibliothèque Mazarine a conservé une copie de l'acte cccxlv :
" Le nom de Dieu préalablement appelé savoir faisons à tous, présents et avenir, que tres haute, tres puissante et tres excellente dame Claude, par la grâce de Dieu, Royne de France, Duchesse de Bretaigne, comtesse de Bloys, de Montfort, d'Estampes, de Soissons et de Vertu, dame de Coucy, saine d'entendement, malade en son lit, a faict et ordonné son testament ou ordonnance de dernière volonté en la forme quy s'ensuit.
Premièrement, elle a recommandé son ame à Dieu, notre Créateur, père et rédempteur, à la glorieuse et Sacrée Marie et à toute la Cour céleste de Paradis, a voulu son corps mettre en sépulture ou il plaise au roy son tres cher, tres aimé seigneur et espoux et ses obseques et funérailles estre faites au plaisir, discrétion et volonté dudit seigneur, et a institué et institue le seul héritier universel en tous et chacun ses biens, meubles et immeubles en quelques part ou lieux qu'il soit situé ou assis, son cher et tres aimé fils aîné François, Daulphin deViennois, et Duc de Valentinois, et après son décès, ses hoirs malles procréés de legal mariage perpétuellement tant que sa lignée droite durera avec le droit d'ainesse et primogéniture de l'un à l'autre successivement gardé...
Si la lignée masculine de sondit fils aisné ledit Seigneur, daulphin venoit à faillir (que Dieu ne veuille) sans héritiers malles, veult ladite Dame iceulz biens parvenir à notre tres cher tres amé fils Henry duc d'Orléans son second fils si lors est en vie et, en deffault de luy, ses enfants malles survivants ... ledit droit d'ainesse et primogéniture gardé.
Et si la ligne masculine de sondit fils Henri, duc d'Orléans venoit à faillir, que Dieu ne veult, ladite dame ses biens parvenir à son tres cher et tres amé fils Charles d'Angoulesme, son troisième fils."
La reine, par ailleurs, disposait que ses enfants, Henry, Charles, Charlotte, Marguerite et Madeleine disposent " de telles parts et portions qui leur doivent appartenir par les coutumes des lieux ou ces dits biens sont situés et assis, et desquels elle n'aurait pas disposé en faveur de son fils ainé".
Le testament fut fait au château de Blois le 26 juillet 1524, environ deux heures après minuit. En dehors des notaires et de son confesseur, assistaient à la signature de l'acte l'évêque et duc de Langres, son grand aumônier, Raoul Huvanet, son général des finances et quelques autres témoins. Il n'est fait état de la présence d'aucun seigneur breton. La reine ordonnait que le roi fût son seul exécuteur testamentaire, le suppliant " très humblement " vouloir commettre tel personnage qui lui plairait pour l'exécution et accomplissement dudit testament.
Fait important, on lui fit approuver que le roi fût usufruitier et qu'il eût la jouissance de tous les biens de Claude sa vie durant.
La lecture du texte ci-dessus montre que Claude, contrairement à ce qui a été écrit à peu près partout, n'a nullement institué le dauphin François, héritier du duché de Bretagne cccxlvi. Le légataire universel est celui à qui on lègue la totalité ce que l'on possède, dans la limite, bien entendu, de ce que la loi autorise à léguer. Or, on ne pouvait évidemment acquérir la couronne de Bretagne par legs, dont ou héritage ; on devenait duc de Bretagne parce que la coutume bretonne en décidait ainsi, non parce que le duc défunt avait décidé de privilégier tel ou tel de ses héritiers à cette fin. La loi du royaume de France était la même. Lorsque le roi prétendit en 1539 donner à son fils Henri, devenu dauphin, le duché de Bretagne, en avancement d'hoirie, le parlement s'y opposa cccxlvii. Il rappela la loi fondamentale du royaume, aux termes de laquelle, les biens de la couronne sont indivisibles, n'appartiennent qu'au roi, et ne peuvent être ni cédés ni légués :
" Bailler part et portion des biens, terres et seigneuries du Royaume et de la Couronne, importeroit déclaration qu'ils fussent divisibles...La Couronne, les terres et seigneuries quelconques d'icelle ne [peuvent] souffrir aucune scission, division, séparation ou diminution...Par cette maxime du droict, des gens du droict et lois naturelles françoises, il a toujours esté soustenu que les terres et Seigneuries de la Couronne ou qui sont du domaine d'Icelle, n'ont jamais peu estre baillées pour part et portion, ni héréditairement aux enfans de France, qui n'en peuvent rien avoir et tenir que pour leur appanage, et entretenement.".
Pour les mêmes raisons, les biens de la couronne de Bretagne ne pouvaient être ni divisés ni légués. Claude ne pouvait ni bailler, ni donner, ni léguer à l'un quelconque de ses fils la couronne de Bretagne, pour la même raison que les rois de France pour leur propre couronne :
" Ladite concession ne peut être hereditaire, laquelle qualité ne peut avoir lieu ez terres et biens de la Couronne ...... Des biens de la Couronne, l'on ne peut bailler part et portion à ses enfans ... Les terres et Seigneuries de la Couronne de France ne sont hereditaires, ni déférés par succession en qualité hereditaire, mais sont déférés par la loy du Royaume avec l'intégrité, au seul successeur de la Couronne."
Pour que la couronne de Bretagne fut transférée à François, fils aîné du roi, alors que selon le traité conclu entre Louis XII et Anne de Bretagne en 1499, c'est le deuxième enfant du couple royal qui était l'héritier légitime, la monarchie française dut manigancer d'autres opérations ; il en sera parlé plus tard.