31/10/2015 00:02
Lettre ouverte aux Chefs d’État et de Gouvernement ayant ratifiés la Charte de l'autonomie locale
Les Alsaciens Réunis , Les Fédérés et le Mouvement Franche-Comté
Strasbourg, le 28 octobre 2015
Mesdames, Messieurs les Chefs d’État et de Gouvernement,
Les régions et les citoyens français appellent les dirigeants des États membres du Conseil de l’Europe, signataires de la Charte européenne de l’autonomie locale, à exprimer leurs plus vives préoccupations eu égard aux atteintes graves portées par le gouvernement français à l’exercice de la démocratie locale en France.
Au 1er janvier 2016, la loi française n° 2015-29 du 16 janvier 2015, relative à la délimitation des régions, supprimera arbitrairement 16 régions françaises par fusion entre régions voisines, en violation des engagements internationaux de la France énoncés à l’article 5 de la Charte européenne de l’autonomie locale selon lequel :
« Pour toute modification des limites territoriales locales, les collectivités locales concernées doivent être consultées préalablement, éventuellement par voie de référendum là où la loi le permet. ».
Les régions supprimées sont les suivantes : Aquitaine, Limousin, Poitou-Charentes, Midi-Pyrénées, Languedoc-Roussillon, Auvergne, Rhône-Alpes, Bourgogne, Franche-Comté, Alsace, Champagne-Ardenne, Lorraine, Nord-Pas-de-Calais et Picardie. Les régions Basse-Normandie et Haute-Normandie fusionneront pour former la Normandie.
Ces régions historiques, ont pour la plupart une identité et une culture très fortes, voire un régime de droit local comme l’Alsace, sont parfois millénaires et plus anciennes que la France elle-même. Selon un sondage réalisé en France entre le 6 et le 14 octobre 2015, les Français habitant les régions concernées sont très majoritairement opposés, à 65 %, à leur disparition. En Alsace, ils sont même 85 % à y être opposés. Les collectivités locales pas plus que les habitants desdites régions n’ont été consultés durant la procédure d’adoption de la loi contestée. Les régions fusionnées n’ont en outre aucune cohérence ni historique, ni géographique, ni économique, ni culturelle, et ne seront, selon les études, source d’aucune économie.
Par sa décision n° 393026 du 27 octobre 2015, le Conseil d’État, la plus haute juridiction administrative française, saisi de divers requêtes (*) par les soussignés représentant des partis politiques, collectifs, associations et particuliers, reconnaît explicitement que la Charte européenne de l’autonomie locale « impose la consultation préalable des collectivités locales avant modification de leurs limites territoriales ».
Le Conseil d’État dénie toutefois tout droit aux citoyens français dont ils pourraient se prévaloir au regard de la Charte européenne de l’autonomie locale. Le Conseil d’État a estimé « que l’article 4 de la Charte (qui prévoit que l’exercice des responsabilités publiques doit, de façon générale, incomber de préférence aux autorités les plus proches des citoyens) ne régit que les relations entre États signataires et ne produit (…) pas d’effets à l’égard des particuliers, dont ils pourraient se prévaloir devant le juge.
Il a également jugé que les citoyens ne pouvaient pas contester la conformité de la procédure d’adoption de la loi à un traité international, tel que l’article 5 de la Charte (…). Le juge [du Conseil d’État] ne contrôle[rait] que le contenu de la loi au regard des engagements internationaux de la France, et non sa procédure d’adoption. »
Par une décision semble-t-il plus politique que fondée en droit, laissant supposer l’érosion inquiétante de l’État de droit en France – les traités internationaux étant supposés, selon l’article 55 de la Constitution française, de force supérieure à la loi – le Conseil d’État ignore les droits élémentaires des citoyens français et des collectivités locales, alors que la Charte est censée en conférer. Il est regrettable que la France demeure l’un des pays les plus centralisateurs d’Europe. Ce refus d’un vrai fédéralisme, courant partout ailleurs, s’opère en France au détriment des identités et des pouvoirs locaux et régionaux.
Avec la décision du Conseil d’État, les citoyens français et les régions ne disposent désormais plus d’aucun recours national. Comme le Conseil d’État le laisse entendre, seuls les États signataires de ladite Charte peuvent encore intercéder en faveur des régions et des citoyens français face à la dérive manifestement antidémocratique du gouvernement français. Les États signataires ne sauraient ignorer un tel déni de démocratie en France, pays qui se veut pourtant, plus que tout autre, celui des Droits de l’Homme.
Le gouvernement français, soucieux en effet de promouvoir les principes démocratiques hors du territoire national, semble ne respecter ni la parole donnée au nom du – et pour le– Peuple français, ni ses engagements internationaux vis-à-vis des autres États signataires de la Charte européenne de l’autonomie locale.
A supposer que les Généralités espagnoles, les Lands allemands, les Nations britanniques, les Régions italiennes, les Sujets de la Fédération de Russie ou n’importe quelle autre collectivité locale des Etats européens signataires de la Charte soient supprimés arbitrairement, sans consultation préalable, une situation favorisant de surcroît les troubles à l’ordre public, alors les Etats signataires de la Charte seraient fondés à exprimer leur plus vives préoccupations. Le gouvernement français serait parmi les premiers à s’émouvoir, aussi ne doit-il pas être exempté de tout reproche lorsqu’il se rend lui-même coupable des maux qu’il condamnerait ailleurs en Europe.
Un témoignage simultané de désapprobation de la part des Chefs d’État et de Gouvernement signataires de la Charte avant l’entrée en vigueur de la loi, le 1er janvier 2016, aura indéniablement un effet salutaire sur l’exercice de la démocratie locale en France.
Sûrs de votre compréhension et de votre bienveillance et espérant recevoir un commentaire de votre part sur ce courrier, les signataires de la présente vous prient de bien vouloir agréer, Mesdames, Messieurs les Chefs d’État et de Gouvernement, l’expression de toute leur gratitude et de leur très haute considération.
Signé : (les requérants au Conseil d’Etat)
(*)
Requête 393026 : formée par le « Mouvement Franche-Comté », « Les Alsaciens réunis »
Requête 393488 : formée par Robert HERTZOG (juriste expert du Conseil de l’Europe et professeur émérite de droit public de l'Université de Strasbourg et Daniel HOEFFEL (ancien ministre de l’Aménagement du territoire sénateur et président du conseil général du Bas-Rhin)
Requête 393622 : formée par le Mouvement Alsacien « Unser land »
Requête 393659 : formée par le « Parti Lorrain »
Requête 393724 : formée par le « Parti des Mosellans »
Lettre adressée en français et en anglais aux Chefs d’État et de gouvernement des pays suivants : République d’Albanie, République fédérale d’Allemagne, Principauté d’Andorre, République d’Arménie, République d’Autriche, République d’Azerbaïdjan, Royaume de Belgique, République de Bosnie-Herzégovine, République de Bulgarie, République de Chypre, République de Croatie, Royaume de Danemark, Royaume d’Espagne, République d’Estonie, République de Finlande, République de Géorgie, République hellénique, République de Hongrie, Irlande, République d’Islande, République italienne, République de Lettonie, ex-République yougoslave de Macédoine, Principauté de Liechtenstein, République de Lituanie, Grand Duché de Luxembourg, République de Malte, République de Moldavie, Principauté de Monaco, République du Monténégro, Royaume de Norvège, Royaume des Pays-Bas, République de Pologne, République portugaise, République tchèque, Roumanie, Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, Fédération de Russie, République de Saint-Marin, République de Serbie, République slovaque, République de Slovénie, Royaume de Suède, Confédération suisse, République de Turquie, Ukraine.