23/02/2015 11:46
LA SOUVERAINETE DE LA BRETAGNE AU MOYEN AGE.
La Souveraineté d'un État se définit par le fait qu'il détient au sommet toutes les prérogatives étatiques, sans qu'aucun autre État étranger puisse lui imposer aucune décision prise en dehors de lui. L’État souverain décide seul dans tous les domaines, au moyen de ses propres institutions.
C'est indiscutablement le cas pour la Bretagne. La France a sans cesse, pendant des siècles, émis des prétentions pour tenter d'imposer aux Bretons ses décisions, d'ailleurs très partielles, dans de nombreux domaines. Dans tous les cas, sans aucune exception, ces prétentions ont été éludées, souvent avec brutalité.
Sur ce point :
- Marcel PLANIOL, Histoire des Institutions de la Bretagne, Tome 3, pages 51 à 91, Mayenne, 1981.
- Louis MELENNEC, Livre bleu de la Bretagne, pages 40, 41, 42, 43.
QUELQUES TEXTES.
Les textes émanant de la Chancellerie de Bretagne, renvoyant avec brutalité les Français dans leurs cordes, sont nombreux. En voici quelques uns :
JEAN IV, DUC DE BRETAGNE, AU ROI DE FRANCE CHARLES V, roi de France, mai 1384.
« Vous, Roi de France, et votre Conseil, il vous appartient de bien savoir ceci :
« Le Pays de Bretagne est un Pays distinct et séparé de tous les autres, sans qu’il y ait rien dans ce pays de Bretagne qui ne relève du sort de la compétence de son gouvernement, qui est universel, qui concerne toutes les affaires bretonnes, sans restriction. Autrefois, ce Pays fut un royaume, et fut gouverné par des Rois, comme Judicaël, Salomon, Conan … Ces rois l'ont gouverné en gouvernement royal
….. Il apparaît clairement qu’il a été et QU’IL EST ENCORE ROYALEMENT GOUVERNE. Le Duc de Bretagne EST EN POSSESSION DES DROITS ROYAUX, sans que nul autre que lui, en sa Principauté de Bretagne, y ait rien à voir.
Ni vous, ni aucun de vos prédécesseurs Rois de France n’ont JAMAIS été reconnus, ni par moi, ni par aucun de mes prédécesseurs, comme Souverain ».
(Le texte traduit en français moderne par Louis Mélennec, respecte strictement le texte original).
FRANCOIS II, PERE D'ANNE DE BRETAGNE, LE 22 SEPTEMBRE 1485.
Dans ce texte souvent cité, François II affirme hautement qu'il est Duc par la grâce de Dieu seul, en aucun cas par la grâce du roi étranger de France :
” François, Duc de Bretagne par la grâce de Dieu, je salue tous ceux qui liront les présentes lettres..
Comme de toute antiquité, NOUS ET NOS PREDECESSEURS ROIS, DUCS ET PRINCES DE BRETAGNE, qui jamais de nos noms et de nos titres de Principauté n’avons reconnu, ni ne reconnaissons de créateur, d’instituteur, NI DE SOUVERAIN, SAUF DIEU TOUT PUISSANT, en vertu du droit qui nous appartient, et à raison de NOS DROITS ROYAUX ET SOUVERAINS, décidons ce qui suit …. Etc ”
LA POSITION DES HISTORIENS MODERNES.
Les négationnistes de l'histoire bretonne nient avec hargne, mais surtout une ignorance abyssale, que les Ducs de Bretagne aient pu être Souverains, au même titre que les autres souverains d'Europe et d'ailleurs. Cette ignorance tient au fait que la définition de la Souveraineté relève de la science juridique, très accessoirement de la science politique, dont ils ne connaissent rien.
L'étude citée de Marcel PLANIOL est in-surpassée, et fait justice, définitivement, de cette ignorance. Encore faut-il l'avoir lue. Et l'avoir comprise.
Louis Mélennec résume cette étude très motivée de la manière qui suit :
« LE DUC DE BRETAGNE EST SOUVERAIN DANS SON DUCHE, tout comme le roi d’Angleterre, le roi d’ Écosse, le roi d’Aragon, le roi de Navarre, le roi de Naples, le roi de France :
- Il gouverne avec ses Conseillers et son Parlement général, sans qu’aucun autre pays ait le moindre droit de regard sur ses prérogatives gouvernementales.
- Le Duché est gouverné par ses propres lois et ses propres coutumes, en aucun cas par celles applicables en France ou ailleurs.
- La justice est rendue au nom du Duc, par les juridictions bretonnes. Le chef de la justice au niveau national porte le titre de «Président de Bretagne». Sauf exceptions rarissimes, les Bretons ne peuvent faire appel devant le Parlement de Paris. Le Duché veille jalousement à ce qu’il n’y ait aucune ingérence étrangère dans le fonctionnement de sa justice, et met obstacle à tout recours des Bretons au parlement de Paris, sous peine de sanctions.
- Le Duc est le chef des armées nationales. Les armées en campagne sont commandées par le Maréchal de Bretagne ; la flotte obéit à l’Amiral de Bretagne.
- Le Duché bat ses propres monnaies d’or et d’argent, décide du cours des monnaies. La livre bre- tonne est distincte de la livre française. Le système fiscal est strictement distinct de celui de la France. Les impôts, notamment, ne portent pas les mêmes noms de chaque côté des frontières (l’impôt principal est le « fouage » en Bretagne, la « taille » en France).
- La diplomatie dépend du duché seul, qui nomme ses ambassadeurs, décide des négociations à conduire, négocie et signe ses traités, décide de la paix et de la guerre. Le Duc entretient des relations directes, par ses ambassadeurs, avec le Pape, qui rédige des bulles distinctes de celles destinées à la Cour de France. L’Église de Bretagne est distincte de l’église de France.
- Le Duc crée ses ordres de chevalerie, anoblit les sujets qu’il distingue, possède le droit de grâce; le crime de lèse-majesté fait partie du droit breton.
- Le Duc dispose du monopole de la contrainte. Les fonctionnaires du roi de France ont l’interdiction stricte d’officier dans le Duché, sous peine d’être éconduits, maltraités, et même de mettre leur vie en péril : ils sont des étrangers, seule la voie diplomatique, d’État à État, peut régler les contentieux entre les deux pays.
LA BRETAGNE, PAYS LIBRE, EST UNE MONARCHIE CONSTITUTIONNELLE.
La monarchie bretonne n’est ni absolue, ni arbitraire, comme elle le devient en France à partir de Louis XI (1461-1483), plus encore à partir de François Ier (1515-1547). Fait notable, le Duc ne peut gouverner qu’avec ses Conseillers et son Parlement : c’est un régime «représentatif», et même une monarchie constitutionnelle. En principe, le Duc ne peut décider seul des choses importantes (il y a, bien sûr, des exceptions). De ce point de vue, l’annexion du Duché, lorsqu’elle intervient, après les invasions françaises, constitue pour le pays une catastrophe irréparable, en raison de la perte d’un régime politique assez remarquable pour l’époque, et qui fonctionne bien ; c’est une régression de plusieurs siècles, qui produit toujours ses effets à l’heure actuelle. Ce vide politique n’a fait que s’accentuer sous les Français, la Bretagne est toujours gouvernée depuis la capitale d’un pays étranger, selon des méthodes de gouvernance désastreuses.
Nul autre que le Duc de Bretagne ne détient la moindre parcelle d’autorité ni de souveraineté dans le pays, qui est en tous points distinct des autres. En particulier, le roi de France n’y possède aucun gouverneur, aucun intendant, aucun lieutenant-général, aucun fonctionnaire, aucun soldat, aucune place forte, ni même aucun ambassadeur permanent. Le Duc, selon la maxime, « est roi dans sa Duché, tout comme le roi l’est dans son royaume »; il est « Duc par la grâce de Dieu », et « ne reconnaît au temporel aucun instituteur, ni créateur, ni souverain, que Dieu lui même ».
Les Français voyageant en Bretagne, sujets de leur roi, doivent obtenir des « sauf- conduits ». Et réciproquement. La « naturalité » bretonne n’est pas la « naturalité française » ; elle n’est accordée qu’avec parcimonie par le gouvernement ducal. Le Duc lui-même, lorsqu’il se rend en France, doit en aviser le Parlement général de Bretagne – voire être autorisé par lui à quitter le territoire national -, et être muni des sauf-conduits à lui délivré pour se déplacer hors de son pays.
On voit à quel point est absurde la prétention de la France - et de certains historiens bretons - de vouloir soutenir que la Bretagne a toujours été française, et de vouloir encore entretenir cette légende. Cela reviendrait à dire que le Tibet a toujours été chinois, que l’Écosse est anglaise, etc.