VII - 2 - II. La dépossession de Claude de son héritage.

30/09/2019 13:08

II. La dépossession de Claude de son héritage.

 

Anne disparue, sa fille se révéla incapable de prendre la moindre décision. Elle n'avait aucun goût pour les affaires d'État. La chancellerie de Bretagne continua à exister, distincte de la chancellerie de France. Philippe de Montauban, chancelier, avait été restauré dans ses fonctions par Anne de Bretagne, en même temps qu'elle rétablissait le gouvernement breton par une initiative spectaculaire

prise le 9 avril 1498, le surlendemain même de la mort de son mari Charles VIII ccxciii. Le chancelier

de Montauban, serviteur fidèle de la monarchie bretonne, resta en fonction jusqu'à son décès, en juillet 1514 ccxciv.

 

 

 

1°) L'administration du duché est confiée à François d'Angoulême ; lettres patentes du 27 octobre

1514.

 

A peine sa fille mariée, Louis XII, Duc de Bretagne par sa femme, fit l'objet de sollicitations pressantes de la part de son gendre et de ses amis. Les revenus du duché étaient considérables ; en

1514 – 1515, ils avoisinaient 500 000 livres, soit un cinquième environ de ceux du royaume : de quoi permettre à François, en plus de ses autres ressources, de faire figure de grand seigneur et de dépenser beaucoup ccxcv. Fleuranges relate ainsi les hésitations du roi ccxcvi : " En faisant ce mariage, il

luy bailloit le duché de Bretaigne pour en jouir présentement. Mais cela ne [se]fist pas sans beaucoup d'affaires, car le roi, qui estoit un peu chatouilleux sçavoit bien comment


il avait faict au feu roy, et craignoit que le dict sieur d'Angoulesme ne luy en voulust faire autant" ccxcvii

. Le dauphin fut " merveilleusement bien servi, spécialement par Monsieur de Boissy, grand mestre de

France, et par le trésorier Robertet, qui pour lors gouvernoit tout le royaume".

 

Du côté breton, on connaît mal les préliminaires de l'opération ccxcviii. L'extrême susceptibilité des Bretons pour tout ce qui concernait leur gouvernement et leurs institutions donne à penser qu'il y eu négociations préalables avec le roi. Les États semblent avoir sollicité cette passation de pouvoirs.

L'acte du 27 octobre 1514 l'affirme explicitement ccxcix : " Loys par la grâce de Dieu, Roy de France …

comme depuis le trespas de feu nostre très chère et très-amée compagne la Royne, comme père et légitime administrateur de nostre très-chère et très-amée fille Claude de France et duchesse de Bretagne…par les gens des trois Estats d'icelluy pays nous a esté très-instamment supplié et requis, que pour le bien, proffit et utilité dudit pays et duché, et en ensuivant les coustumes, us et observances d'icelluy pays, voulussions de laisser ledit duché de Bretaigne et la totale administration d'icelluy à notre très-cher et très-amé fils le duc de Vallois, comte d'Angoulesme…".

 

Les lettres royales confèrent à François l'administration du duché : " Ledit duché, ensemble l'administration, maniement et totale disposition dudit duché et affaires d'icelluy, avons délaissé et délaissons à notre dit filz, le duc de Vallois, comte d'Angoulême". L'acte comporte une réserve importante. Il est accompli conformément aux "coutumes, us et observances d'icelluy païs" : François devient duc, non pas en vertu du pouvoir du roi de disposer de l'administration du duché, mais " comme mari et espoux de nostre dite fille Duchesse de Bretaigne". L'acte ajoute : " Voulant que doresnavant il pourvoye aux faicts et affaires dudit pays, soit en finances, bénéficies, offices et autres choses qui y pourront cy-après survenir". La délégation de compétence est donc totale.

D'autre part, il lui confrère le titre de duc de Bretagne : " Que ce faisant, il se dise, porte, nomme et

intitule Duc de Bretagne". Les droits de Renée sont explicitement réservés. Tout ceci, est-il précisé, se fait "sans préjudice du droict de nostre tres-chere et tres-amée fille Renée de France a et peut avoir audit pays et Duché".

 

Le 18 novembre, délivrance fut faite du duché à François d'Angoulême par acte séparé rédigé dans des termes identiques ccc. Dom Morice confirme les évènements de la manière suivante :

" Le comte d'Angoulême ne devait pas voir tranquillement un mariage (celui de Louis XII avec la princesse Marie d'Angleterre) qui pouvait l'exclure un jour de la couronne. Pour le dédommager, en quelque sorte, du tort qu'on lui faisait, il demanda l'administration du duché de Bretagne, comme époux de Madame Claude, à qui cette principauté appartenait depuis la mort de la reine Anne. Le roi, qui comptait la gouverner lui-même sous le nom de ses filles, ne reçut pas bien la proposition du Duc d'Angoulême. Il craignait que ce jeune prince, devenu maître de la Bretagne, n'abusât, au préjudice du

royaume, de la puissance où on l'élèverait. Il savait l'embarras que cette province avait causé aux Rois, ses prédécesseurs, et il n'avait pas oublié les troubles qu'il avait occasionnés lui-même en France par l'appui qu'il avait trouvé à la cour du Duc François II. Quelque répugnance qu'il eût d'accorder au Duc d'Angoulême ce qu'il demandait, il céda aux instances des États de la Province, qui entrèrent

volontiers dans les vues de ce jeune Prince, dans l'espérance d'être gouverné comme il l'avait été sous

les ducs".

 

François ne daigna pas rendre visite aux Bretons. Il se contenta d'y envoyer en mission Antoine Duprat, alors Président au parlement de Paris. Selon Paul Lacroix, cela ne se passa pas pour le mieux. La question fut portée devant le Conseil du roi ccci.

 

L'accession de François d'Angoulême au duché de Bretagne a souvent été mal interprétée. Lobineau

et Morice parlent de "don", de "cession" du duché par le roi de France à son neveu. cccii Cette manière de présenter les choses est inexacte : Louis XII n'avait aucune possibilité de donner à quiconque un

duché qui ne lui appartenait pas. François devint duc de Bretagne, selon une procédure régulière, les États étant intervenus dans le débat. Les actes du 27 octobre et du 18 novembre furent certainement rédigés après concertation entre la chancellerie de Bretagne et la chancellerie de France.


2°) Le mariage de Louis XII et de Marie d'Angleterre.

 

La détresse du roi à la mort de sa femme fut profonde ; le chagrin fut universel, tant en France qu'en Bretagne et à l'étranger. Elle avait été son soleil, l'air qu'il respirait ; il ne voyait que par elle et ne pouvait se passer d'elle ccciii. Il ne parlait que de mourir : " Allez, dit-il, et faictes le caveau et le lieu où doipt estre ma femme, assez grant, pour elle et pour moy, car, devant que soit l'an passé, je seray

avec elle et lui tiendray compaignie" ccciv. Brantôme confirme : " [il ne pouvoit] oublier la reyne Anne, sa très chère femme qu'il avoit toujours tant aymée" cccv.

 

Pourtant, le désir de voir le royaume en repos, peut être le souci d'avoir un fils, le conduisirent à sceller la paix avec l'Angleterre, en épousant la princesse Marie, sœur du roi Henri VIII, alors fiancée à l'archiduc cccvi.

 

La princesse, alors âgée de seize ans, était fort belle. L'ambassadeur de Maximilien en fait de grands éloges : " C'est l'une des plus belles filles que l'on saurait voir, et il ne me semble point en avoir oncques vu une si belle. Elle a très bonne grâce et le plus beau maintien, soit en devises [en conversation] et danses, ou autrement que possible est d'avoir ; et elle n'est rien mélancolique, ains toute récréative. J'eusse cuidé qu'elle eût été de grande stature et venue, mais elle sera de moyenne

stature, et me semble proportionnée mieux qu'autre princesse que je sache en Chrétienté"  cccvii.

 

Les négociations allèrent leur train. Veuf au mois de janvier, le roi se trouva bientôt fiancé. Le mariage eut lieu par procuration ; le 7 août, Louis de Longueville, marquis de Rothelin, épousa Marie au nom de Louis cccviii. Le contrat de mariage fut établi à Paris le 14 septembre cccix. Selon le Loyal serviteur, le roi n'avait pas grande envie de se remarier ; il le fit par devoir : " Aussi n'en avoit-il pas grant vouloir ; mais parce qu'il se veoyoit en guerre de tous côtés, il ressembla au pélican" cccx. Brantôme donne la même version des évènements : il épousa la belle marie " quaysy comme contraincte, se sacrifiant pour son royaume, pour achepter la paix et l'alliance d'Angleterre" cccxi.

 

La princesse, embarquée à Douvres, où elle fit ses adieux aux siens, débarqua à Boulogne entourée d'une suite nombreuse et brillante. Du Bellay cccxii relate : " Après que les choses furent accordées, le Roy s'approcha de la Picardie, pour recevoir sa femme future ; et arrivé qu'il fut à Abbeville, qui estoit environ le dixièsme jour d'octobre 1514 envoya Monsieur d'Angoulesme à Boulongne pour recueillir

ladite dame Marie. Auquel lieu de Boulongne estant arrivé ladite Marie, fut par lesdits seigneurs recueillie magnifiquement et conduite en grant triomphe jusque à Abbeville ou le Roy alla au devant d'elle". Louise de Savoie, toujours grinçante lorsqu'il s'agit de Louis XII note dans son journal " Le Roy, fort antique et débile, sortit de Paris pour aller au devant de sa jeune femme". Né en 1462, le roi n'est pas si vieux que cela, mais il est malade : " Il n'estoit pas vieil homme …  ce  fust dommage quand ceste maladie de goutte l'assaillit ", écrit Fleuranges.

 

La princesse Marie étant arrivée à Abbeville le 8 octobre, le mariage fut célébré le lendemain ; l'union fut bénie par le cardinale de Prie cccxiii. Claude servit la reine, comme elle avait accoutumé à faire pour sa mère. Madame Louise ne parut point, ce qui fut très remarqué ; elle était furieuse de ce

mariage qui compromettait l'avenir de son César. Anne de France, duchesse de Bourbon, fille de

Louise XI, assista aux cérémonies cccxiv.

 

Louis s'efforça de se montrer à la hauteur. Il s'en vanta : " Le lendemain, écrit Fleuranges, le roi disoit qu'il avoit faict merveilles". Mais le chroniqueur n'en croit rien : " Toustefois, je crois ce qu'il en est, car il estoit bien malaisé de sa personne".

 

La nouvelle reine fut, aussitôt que mariée, privée de son entourage anglais cccxv : en matière d'espionnage et de double jeu, le roi était orfèvre, et savait que sa femme aurait pu transmettre à son frère des secrets qu'il n'avait pas à connaître. Marie fut couronnée solennellement le 5 novembre

dans l'église abbatiale de Saint Denis, à quelques pas de la fosse où avait été déposée le corps d'Anne de Bretagne moins d'un an plus tôt. Le lendemain, elle fit son entrée à Paris.


Dans le courant du mois de novembre, eurent lieu des joutes somptueuses, dont l'organisation fut confiée au dauphin cccxvi. François y reçut une blessure légère, que Louise de Savoie note anxieusement dans son journal : " Le 29 novembre 1514, mon fils, courant en lice aux Tournelles, fut blessé entre les deux premières joinctes du petit doigt, environ quatre heures apres midi".

 

Le mariage du roi, dit-on, fut la cause de sa mort. Celui-ci modifia du tout au tout ses habitudes. Auprès de cette jeune femme, il avait honte de paraître un vieillard. Il se levait tard, s'attardant dans son lit auprès de son épouse ; lui qui déjeunait à 8 heures, le fit à midi ; lui qui se couchait à 6 heures, se coucha à minuit cccxvii. D'avare, il devint prodigue. André de la Vigne fournit la même version : " A

laquelle chose mist si bonne payne comme il est vraysemblable que mal luy en prist. En cuydant faire ung filz, il deffit un homme" cccxviii.

 

L'ambassadeur Dandolo avait prédit : " S'amuser avec une femme de 18 ans, une des plus belles princesses d'Europe, au dire unanime, c'est pour le roi un changement notable et tres dangereux dans son état de santé." cccxix. Les clercs de la Basoche disaient qu'on lui avait envoyé  une haquenée " pour le porter plus vite et plus doucement en Enfer ou au Paradis" cccxx.

 

A la vérité, le Très Chrétien mourut vraisemblablement de maladie. Il rendit l'âme le 1er janvier 1515, vers minuit, date bénéfique pour le dauphin : " ce lui fust une belle estrenne, pour un premier jour de l'an, vu que ce n'estoit point son fils" commente Fleuranges.

 

Il s'en fallut de peu que la beauté de la reine causât la perte du dauphin. Les deux jeunes gens se plurent. On dut monter la garde auprès de la reine, pour éviter qu'ils se rencontrassent charnellement. Si François l'avait engrossée, et que l'enfant fût un garçon, son malheureux père en eût perdu le trône cccxxi. Le plus cocasse fut que Claude participa à cette surveillance. Marie se mit au lit pour une durée de six semaines  "sans veoir, fors la chandelle " cccxxii.

 

On fit grand train pour évacuer le cadavre du roi. Dès le 3 janvier, il était à Notre Dame

de Paris, le 4 à Saint Denis. Une précipitation inhabituelle, si l'on considère la pompe et le

faste habituels des obsèques royales. Avare, Louis avait dépensé cinquante deux mille livres pour l'enterrement de son cousin Charles VIII ; prodigue, François ne dépensa que treize mille livres pour son bienfaiteur cccxxiii.

 

Une dernière émotion attendait le jeune roi : la reine Marie … se déclara enceinte. Ce fut une consternation pour François et sa mère. On savait qu'entre elle et le duc de Suffolk, qui l'avait accompagnée en France, il y avait une "merveilleuse amitié", ce qui donnait lieu à toutes les suppositions. Mais Louise veillait : " Madame la Régente, qui estoit une Savoyenne qui scavoit que faire des enfants, et qui voyoit qu'il y alloit trop de bon pour elle et pour son fils la fit si bien esclairer et visiter par médecins et sages-femmes… qu'elle fut descouverte en son dessein". Marie fut autorisée

à quitter le royaume, avec un douaire important de cinquante cinq mille livres cccxxiv. Elle épousa

Suffolk. Louise tira la leçon dans son journal : " Mon fils fut oint et sacré … pour ce suis-je bien tenue et obligée à la divine miséricorde, par laquelle j'ay esté amplement récompensée de toutes les

adversités et inconvéniens qui m'estoient advenus en mes premiers ans et en la fleur de ma jeunesse. Humilité m'a tenue compagnie, et Patience ne m'a jamais abandonnée".

 

En tout, le bon roi Louis avait été marié du 9 octobre 1514 au 1er janvier 1515, soit deux mois et trois semaines. Si le mariage fut cause de sa mort, ce fut un lourd tribut cccxxv.

 

Claude fut sacrée à Saint Denis le 10 mai 1517. Elle fit son entrée à Paris le 12 mai. cccxxvi

 

 

 

3°) Claude est dépouillée de ses revenus : la "donation" du 22 avril 1515.

 

L'année 1515 est marquée par plusieurs évènements importants, bien connus, mais qui n'ont donné lieu à aucune analyse juridique approfondie à ce jour, même de la part de d'Argentré.


 

On se tromperait lourdement en croyant que le droit médiéval de cette époque est peu évolué, et se trouve encore dans un état embryonnaire. Les principes généraux du droit médiéval sont fondamentalement les mêmes que les nôtres, en particulier en matière de contrats. Ces principes doivent être rappelés ici, car ils sont essentiels à la compréhension de ce qui va suivre.

 

- Les actes juridiques ne valent que s'ils sont conformes au droit,  à loi, à la morale ; les actes illicites, non conformes aux bonnes mœurs et à la morale sont nuls.

- Le consentement des parties qui contractent ou qui s'obligent doit être libre. Quiconque agit sous l'effet de la contrainte (par force), de la peur (par trop grande paour), par dol (tricherie) ne s'engage pas : les conventions conclues dans ces conditions sont nulles (convenance qui est fete par force ou par paour n'est pas à tenir).

- Dans un contrat, il doit y avoir réciprocité et équilibre des obligations : celui qui échange un bien contre un autre doit recevoir un juste prix ou un bien de valeur équivalente ; n'a droit à rien celui qui n'a rien donné en échange de ce qu'il prétend recevoir.

- Les mineurs (sous âgés), les pauvres d'esprit, fous, sourds, muets, bénéficient d'une protection renforcée ; en général, ils ne peuvent contracter ni s'obliger. La femme mariée est juridiquement protégée contre les abus susceptibles d'être commis par son mari. Elle ne peut faire "convenance" qui soit contre elle. Elle n'est engagée que par des conventions qui lui sont "profitables et non dommageables".

 

 

 

 

- Non seulement les actes conclus ou passés par dol, violence ou tricherie sont nuls, mais encore le responsable doit être condamné à des dommages et intérêts et à des peines d'amende cccxxvii.

- Le fait de s'emparer du bien d'autrui, ou larcin (vol) doit être puni proportionnellement à son importance cccxxviii.

 

 

 

 

La "donation" du 22 avril 1515 :  Claude est dépouillée de tous ses revenus cccxxix.

 

On ne connaît pas la genèse de cet acte singulier. François Ier y a t-il pensé seul ? A-t-il été incité par sa mère ? C'est probablement Antoine Duprat, ancien président du Parlement de Paris, nommé chancelier dès le mois de janvier 1515, qui y songea, car tel était son rôle.

 

L'acte fut passé par devant Jehan du Pré et Jehan Dain, notaires du roi au Châtelet de Paris, en présence du chancelier Duprat et d'autres seigneurs français : Arthur Gouffier, Grand Maître de France, Fleurimont Robertet, trésorier de France.

 

Contrairement à ce qu'on a dit cccxxx, l'acte ne se présente pas comme un don, mais comme une cession comportant une contre-prestation : il est stipulé que Claude "cède, quitte, transporte" à son mari "les Duchés de Bretaigne et Comtés de Nantes, de Bloys, d'Estampes et de Montfort", ainsi que " les Seigneuries de Montfort" sans rien y réserver. Il ne s'agit pas d'un don à perpétuité, mais de ce que nous appelons un "usufruit" (c'est à dire un droit de jouissance de la chose d'autrui). Le roi n'acquiert pas la propriété de ces terres et seigneuries, il est admis à " en jouir sa vie durant" et, s'agissant de la Bretagne "à être réputé et tenu vrai Duc de Bretaigne et Comte de Nantes".

 

Ce contrat comportant une réciprocité, les notaires royaux, afin d'éviter les difficultés, imaginent non pas une contre-prestation, mais deux contreparties. La cession est faite en rémunération

" du don qu'il a plu (au roi) de faire (à sa femme Claude) des Duchés d'Anjou, Angoumois, comté du

Maine" ; d'autre part, en raison de la peine que le roi prend " de se charger du mariage de sa sœur

Madame Renée de France et l'en décharger ".


Cette "transaction" ne semble avoir à ce jour attiré l'attention d'aucun juriste. Or, il s'agissait d'un détournement des revenus de Claude et, qui plus est, de tous ses revenus.

 

Quant au fond, le contrat était nul de plein droit pour deux raisons au moins. D'une part, il ne comportait aucune réciprocité vraie. Claude n'obtint jamais la propriété du duché d'Anjou, attendu que celui-ci fut donné par ailleurs … à la mère du roi, Louise de Savoie, qui en porta le titre et en

perçut les revenus jusqu'à sa mort cccxxxi. C'était une imposture grossière. Le roi, d'autre part, en sa

triple qualité de souverain, de beau-frère et de tuteur de sa belle-sœur Renée, avait l'obligation, selon les coutumes, le droit et la morale, de gérer son patrimoine en bon père de famille, de le lui restituer à sa majorité, sauf à se rembourser des frais légitimes exposés par lui. Or, non seulement, il ne s'acquitta pas de cette tâche, mais il dépouilla la princesse Renée de ses biens, comme nous le

démontrerons plus tard cccxxxii.

 

L'objet du contrat était illicite,  immoral, contraire aux bonnes mœurs. Il ne s'agissait pas de procéder à un échange de biens entre les époux, mais de dépouiller Claude de tous les revenus des terres et seigneuries faisant partie de son héritage et de celui de sa sœur, sans rien lui donner en contrepartie ; l'échange n'était qu'apparent, c'était une supercherie juridique.

 

Le consentement était vicié : Claude n'était manifestement pas en mesure de comprendre ce à quoi elle s'engageait, en tout cas de s'opposer aux volontés de son mari.

 

Quoique le problème d'une telle "cession" ne se soit jamais produit au cours de l'histoire de Bretagne, il est hors de doute que le droit public breton ne permettait pas qu'une duchesse en titre, par une convention privée de surcroît, se dépouillât de la totalité des revenus de la Principauté, en en faisant cadeau à un prince étranger fût-elle mariée avec lui ; le mari de la souveraine, pièce rapportée dans l'édifice institutionnel de Bretagne, y remplissait tout juste le rôle de géniteur des héritiers légitimes à

venir cccxxxiii. Les coutumes du duché exigeaient que tout acte important fût soumis à l'approbation des

États. S'ils avaient été admis à délibérer sur cet acte absurde, ils auraient évidemment opposé un refus indigné.

 

Le pseudo motif inséré dans l'acte selon lequel "les Reynes peuvent donner à leurs maris durant leur mariage, elles ne sont [pas] subjettes aux coutumes, loix, ni constitutions" était évidemment sans effet. A supposer qu'une telle dérogation s'appliquât aux reines de France, elle ne pouvait valoir pour une duchesse de Bretagne : plus que quiconque, le souverain breton était soumis à loi de son pays, puisqu'il l'incarnait, et qu'il en était une des sources principales.

 

L'affaire n'était, en tout, rien d'autre que ce que Philippe de BEAUMANOIR dénomme "larrecin" (ou larcin), c'est à dire l'appropriation du bien d'autrui. En langage moderne : un vol.

Si l'on sait que les revenus du duché atteignent à cette époque un demi million de livres – soit un quart environ du budget de la France – on mesure l'ampleur de la "soustraction" opérée par le roi de

France à son bénéfice.

 

 

 

 

 

 

 

L'élimination de Claude de la propriété de ses duchés de Milan et de Bretagne cccxxxiv. "Donations" du 26 juin 1515.

Plus surprenant encore sont les actes que François Ier fit signer à sa femme le 28 juin 1515. Tout d'abord, Claude lui céda son duché de Milan cccxxxv. Claude était propriétaire de ce duché, sur lequel son père avait régné peu de temps cccxxxvi. François avait pu, à un moment ou il sentait que les choses


lui échappaient, invoquer ses prétendus droits personnels sur le Milanais, comme descendant de

Valentine de Milan cccxxxvii. Mais les choses avaient tourné autrement, et il avait épousé Claude.

 

Le même jour, Claude signe un deuxième acte au bénéfice de son mari cccxxxviii. Quant à l'objet, il s'agit cette fois, étant rappelé que le 22 avril précédent, une donation a été faite "seulement à vie", de céder, transporter, donner "par donation faite entre-vifs irrévocable … nosdits duché de Bretagne, comtés de Nantes, de Bloys et de Montfort, et seigneurie de Coucy, sans rien y réserver ni retenir, pour jouir d'icelles perpétuellement". Cette donation ne prend pas effet immédiatement, mais seulement au cas qu'il n'y aurait pas " d'enfans descendus de notre mariage" ou, en cas de descendants, si le roi survit à leur décès. On fait dire à Claude que le précédent acte du 22 avril n'a " pas du tout satisfait son vouloir".

 

S'agissant de la cause, la donation est justifiée par la nécessité de compenser les "frais, mises et dépenses" que le roi doit exposer pour la conquête du duché de Milan, "les peines et travaux qu'il prend continuellement pour icelui recouvrer …le grand et quasi infini argent qui est sorti du Royaume de France, tant pour le conquérir que pour le garder".

 

L'acte est passé dans la même forme que précédemment, devant notaire, en présence du roi, acceptant, du chancelier Duprat, de Florimont Robertet, de Robert Gedoin. Aucun seigneur breton n'est témoin à l'acte.

 

Pour les mêmes raisons – plus encore que ci-dessus – cet acte était nul, d'une nullité que nous qualifions aujourd'hui d'absolue, voire même inexistant, tant il était entaché d'irrégularités.

Il était illicite et immoral. Il ne s'agissait pas d'un don, mais d'un " larcin" déguisé. D'autant que l'acte

n'avait pas seulement pour effet de dépouiller la duchesse en titre, mais ses héritiers légitimes. Si Claude fût morte sans enfant, Renée lui aurait succédé : le roi spoliait donc les deux sœurs, et pas seulement l'aînée. Si Renée était morte à son tour sans enfant, les héritiers légitimes du trône étaient le vicomte Jean de Rohan. La Bretagne toute entière était spoliée par cette combinaison, les Bretons n'ayant jamais cessé de vouloir un souverain particulier.

 

La clause de précaution insérée une nouvelle fois dans le contrat, savoir que " les Reynes ne sont pas subgettes aux constitutions et coutumes par lesquelles les donations faictes par les femmes à leurs maris durant leur mariage pourraient être invalides", était sans effet, pour les mêmes raisons que ci- dessus : les lois françaises n'avaient aucune application en Bretagne.

 

Enfin, le contrat était illicite parce que le droit public breton n'autorisait aucune transaction sur la propriété du duché, à plus forte raison au bénéfice d'un souverain étranger.

 

Ce prétendu contrat, d'autre part, n'avait pas de "cause". Non seulement les avantages consentis par Claude étaient unilatéraux, mais de plus l'acte la spoliait gravement : le même jour, elle se trouvait délestée de ses deux duchés, les plus belles de toute la " Chrestienté",  représentant l'un avec l'autre plus d'un million de livres de revenus par an, soit la moitié environ du budget de la France !

 

Comment croire, malgré la précaution prise par les rédacteurs de préciser qu'elle avait agi de sa " pure et franche volonté… bien conseillée et advisée" qu'elle était consciente du dépouillement dont elle était victime ? A l'évidence, on ne peut admettre qu'elle fut consentante au sens juridique du terme. Les actes qu'on lui fit signer le même jour démontrent indirectement qu'elle n'était pas seulement " peu entendue", mais d'une inconscience qui frisait la débilité.

 

Le plus étonnant est qu'on lui fit accepter une clause aux termes de laquelle, si ladite donation venait à n'avoir pas son "plein et entier effet" elle serait condamnée à verser des dommages et intérêts à "mondit Seigneur le Roi", et ce " soubz l'hypotèque et obligation de tous et chascun de nos biens et mesmement desdits Duché, Comté et Seigneurie de Coussy" !


Enfin, dans la forme, l'acte était inopérant : la Bretagne, l'une des puissances de l'Europe, ne pouvait évidemment être cédée en toute propriété par un acte bourgeoisement passé devant un notaire.

 

La lecture de ce document provoque le malaise. A-t-on osé le rendre public ? Ce qui donne à le

penser, c'est que Dom Morice a pu le recopier dans les archives de la chambre des comptes de Nantes

: il s'y trouvait donc. S'agissait-il, au contraire, d'un de ces actes rédigés " à toutes fins utiles", pour valoir dans le futur, et se créer un titre en cas de besoin ? Le compte rendu de la séance des États réunis en 1532 à Vannes ayant disparu, on ne le saura jamais cccxxxix.

 

 

4°) Le testament de Claude de Bretagne cccxl.

 

Le 26 juillet 1524, Claude mourut comme elle avait vécu : sans ennuyer personne. On ne connaît pas la cause de sa mort. Brantôme écrit : " Le Roy, son mary, lui donna la vérole, qui lui advança ses jours" cccxli. Louise n'eut apparemment aucun regret, ni de la perdre, ni de l'avoir "fort rudoyée durant sa vie". Elle note dans son journal : " Madame Claude, Reyne de France, et femme de mon fils, laquelle j'ai honorablement et amiablement conduite : chacun le sçait, vérité le cognoist, expérience le démonstre, aussi fait publique renommée" cccxlii. On fit les éloges d'usage et de belles funérailles. On prétendit qu'à sa mort " son corps fit miracles" cccxliii. Une grande dame des siennes, étant un jour tourmentée de fièvre chaude, recouvra soudain la santé. Clément Marot a laissé une épitaphe, d'une grande platitude : son modèle ne l'a pas inspiré cccxliv.

 

On ignore les conditions dans lesquelles Claude a testé. Etant donné ce que l'on sait de son manque de volonté, on peut présumer qu'elle rédigea son testament de la même manière qu'elle le fit pour les

dons ci-dessus. La bibliothèque Mazarine a conservé une copie de l'acte cccxlv :

" Le nom de Dieu préalablement appelé savoir faisons à tous, présents et avenir, que tres haute, tres puissante et tres excellente dame Claude, par la grâce de Dieu, Royne de France, Duchesse de Bretaigne, comtesse de Bloys, de Montfort, d'Estampes, de Soissons et de Vertu, dame de Coucy, saine d'entendement, malade en son lit, a faict et ordonné son testament ou ordonnance de dernière volonté en la forme quy s'ensuit.

Premièrement, elle a recommandé son ame à Dieu, notre Créateur, père et rédempteur, à la glorieuse et

Sacrée Marie et à toute la Cour céleste  de Paradis, a voulu son corps mettre en sépulture ou il plaise au roy son tres cher, tres aimé seigneur et espoux et ses obseques et funérailles estre faites au plaisir, discrétion et volonté dudit seigneur, et a institué et institue le seul héritier universel en tous et chacun ses biens, meubles et immeubles en quelques part ou lieux qu'il soit situé ou assis, son cher et tres aimé fils aîné François, Daulphin deViennois, et Duc de Valentinois, et après son décès, ses hoirs malles procréés de legal mariage perpétuellement tant que sa lignée droite durera avec le droit d'ainesse et primogéniture de l'un à l'autre successivement gardé…

Si la lignée masculine de sondit fils aisné ledit Seigneur, daulphin venoit à faillir (que Dieu ne veuille) sans héritiers malles, veult ladite Dame iceulz biens parvenir à notre tres cher tres amé fils Henry duc d'Orléans son second fils si lors est en vie et, en deffault de luy, ses enfants malles survivants … ledit droit d'ainesse et primogéniture gardé.

Et si la ligne masculine de sondit fils Henri, duc d'Orléans venoit à faillir, que Dieu ne veult, ladite dame ses biens parvenir à son tres cher et tres amé fils Charles d'Angoulesme, son troisième fils."

 

La reine, par ailleurs, disposait que ses enfants, Henry, Charles, Charlotte, Marguerite et Madeleine disposent " de telles parts et portions qui leur doivent appartenir par les coutumes des lieux ou ces dits biens sont situés et assis, et desquels elle n'aurait pas disposé en faveur de son fils ainé".

 

Le testament fut fait au château de Blois le 26 juillet 1524, environ deux heures après minuit. En dehors des notaires et de son confesseur, assistaient à la signature de l'acte l'évêque et duc de Langres, son grand aumônier, Raoul Huvanet, son général des finances et quelques autres témoins. Il n'est fait état de la présence d'aucun seigneur breton. La reine ordonnait que le roi fût son seul exécuteur testamentaire, le suppliant " très humblement " vouloir commettre tel personnage qui lui plairait pour l'exécution et accomplissement dudit testament.


 

Fait important, on lui fit approuver que le roi fût usufruitier et qu'il eût la jouissance de tous les biens de Claude sa vie durant.

 

La lecture du texte ci-dessus montre que Claude, contrairement à ce qui a été écrit à peu près partout, n'a nullement institué le dauphin François, héritier du duché de Bretagne cccxlvi. Le légataire universel est celui à qui on lègue la totalité ce que l'on possède, dans la limite, bien entendu, de ce que la loi autorise à léguer. Or, on ne pouvait évidemment acquérir la couronne de Bretagne par legs, dont ou

héritage ; on devenait duc de Bretagne parce que la coutume bretonne en décidait ainsi, non parce que le duc défunt avait décidé de privilégier tel ou tel de ses héritiers à cette fin. La loi du royaume de France était la même. Lorsque le roi prétendit en 1539 donner à son fils Henri, devenu dauphin, le duché de Bretagne, en avancement d'hoirie, le parlement s'y opposa cccxlvii. Il rappela la loi

fondamentale du royaume, aux termes de laquelle, les biens de la couronne sont indivisibles, n'appartiennent qu'au roi, et ne peuvent être ni cédés ni légués :

" Bailler part et portion des biens, terres et seigneuries du Royaume et de la Couronne, importeroit déclaration qu'ils fussent divisibles…La Couronne, les terres et seigneuries quelconques d'icelle ne [peuvent] souffrir aucune scission, division, séparation ou diminution…Par cette maxime du droict, des gens du droict et lois naturelles françoises, il a toujours esté soustenu que les terres et Seigneuries de la Couronne ou qui sont du domaine d'Icelle,  n'ont jamais peu estre baillées pour part et portion, ni héréditairement aux enfans de France, qui n'en peuvent rien avoir et tenir que pour leur appanage, et entretenement.".

 

Pour les mêmes raisons, les biens de la couronne de Bretagne ne pouvaient être ni divisés ni légués. Claude ne pouvait ni bailler, ni donner, ni léguer à l'un quelconque de ses fils la couronne de Bretagne, pour la même raison que les rois de France pour leur propre couronne :

" Ladite concession ne peut être hereditaire, laquelle qualité ne peut avoir lieu ez terres et biens de la Couronne …… Des biens de la Couronne, l'on ne peut bailler part et portion à ses enfans …  Les terres et Seigneuries de la Couronne de France ne sont hereditaires, ni déférés par succession en qualité hereditaire, mais sont déférés par la loy du Royaume avec l'intégrité, au seul successeur de la Couronne."

 

Pour que la couronne de Bretagne fut transférée à François, fils aîné du roi, alors que selon le traité conclu entre Louis XII et Anne de Bretagne en 1499, c'est le deuxième enfant du couple royal qui était l'héritier légitime, la monarchie française dut manigancer d'autres opérations ; il en sera parlé plus tard.

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